Le fils de Ridley Scott, Luke, vient de réaliser un premier long métrage pas très éloigné du célèbre Blade Runner de son père. Dans la même thématique, le plus récent Ex Machina explorait d'une manière plus moderne la question de l'intelligence artificielle. Comme ces deux films, Morgane explore la limite ténue entre la réflexion humaine et celles des machines que les sciences nous promettent de créer. Dans une troublante mise en abyme, la 20th Century Fox a conclu un arrangement avec IBM pour profiter d'un de ses nombreux algorithmes afin d'en tirer une bande-annonce. Pour la première fois, une machine choisit donc comment raconter l'histoire d'une autre...
L'histoire. Dans un lieu tenu secret, une enquêtrice rencontre Morgane, à l'origine d'un accident grave. Une jeune fille apparemment innocente issue d'une expérience scientifique.
Avant de découvrir la bande-annonce crée par l'intelligence artificielle, voici celle proposée par le distributeur, Twentieth Century Fox France, très classique dans sa forme.
Une BA par une IA. "Watson", l'intelligence artificielle d'IBM, a sélectionné dix scène de Morgane. Le réalisateur Zef Cota, un membre de l'équipe d'IBM, les a ensuite monté dans l'ordre final, puis a ajouté musique et fondus au noir. Le résultat final est bluffant.
Un petit pas pour la machine plutôt qu'un bond de géant. Si on en croit le manager d'IBM John R. Smith sur son blog, la question posée à l'intelligence artificielle était de déterminer des "moments forts" et "effrayants". Le procédé fut d'abord de soumettre l’algorithme à des centaines de trailers de films d'horreur et de thrillers. Le fait que la machine ait réussi à déterminer ce qui est "effrayant", selon elle, constitue un progrès puisque le mot ne recouvre pas de réalité mathématique. Toutefois, on est encore loin d'une complète autonomie, puisque l'algorithme n'a pas été programmé pour raconter, au sens propre, une histoire. Il a bien fallu l'intervention d'un humain pour organiser ces images.
L'emphase sur l'émotion. La première différence qui saute aux yeux entre les deux trailers est celle du point de vue. Alors que la version 100% humaine donne des informations factuelles, tout en ne dévoilant à aucun moment l'identité de la mystérieuse "jeune fille", la version créée par la machine insiste sur les réactions émotives. On a d'emblée le visage de la fameuse Morgane et les expressions des personnages secondaires suggèrent dès le début un malaise quant à sa véritable nature.
Cette différence peut-être comprise comme la résultante des tâches données à l'algorithme :
- une analyse visuelle des personnes, objets et paysages donnant à chaque scène un "tag" émotionnel. La machine a dû choisir parmi 24 émotions définies grâce aux 22.000 scènes auxquelles elles font référence.
- une analyse audio de l'ambiance sonore pour comprendre le sentiment attaché à la voix des acteurs et à la musique.
- une analyse de la composition visuelle (cadre et lumière) pour tenter de relier l'émotion d'une scène à des critères techniques régulièrement employés dans les genres horrifique et thriller.
Cette méthode s'avère payante car le genre horrifique est plus formaté que d'autres. Les films d'horreur de ces dix dernières années ont fini par nous habituer à des réactions types, notamment vis-à-vis de l'anticipation du fameux "jump scare" (bouh ! une personne surgit). Il est encore impossible de savoir comment l'intelligence artificielle réagirait par rapport à d'autres genres plus "subjectifs", comme la comédie ou le drame.
A quoi pensent les intelligences artificielles ? La méthode de "Watson" rappelle l'essai réalisé par Terence Broad, un étudiant en informatique à Goldsmiths, (Université de Londres). L'artiste et ingénieur a demandé à un programme crée par ses soins de "regarder" le film culte Blade Runner et de décider comment l'encoder, c'est-à-dire quelles informations retenir et celles à écarter. Le résultat est troublant, franchement laid, mais assez convaincant pour tromper une autre intelligence artificielle, celle de Warner Bros, qui a épinglé la vidéo comme contrevenant à la loi sur le "copyright".
Pour Morgane, les instructions données à "Watson" par IBM lui ont donc permis d'apprendre par comparaison avec des milliers d'exemple. IBM décrit son intelligence artificielle comme un modèle "cognitif". Mais il s'agit d'une définition très restreinte de l'intelligence, qui ne recouvre donc pas encore la capacité créatrice de l'être humain.