Les improbables débuts de Régis Wargnier au cinéma comme doublure de Michel Piccoli

Régis Wargnier
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Le réalisateur d'"Indochine", Régis Wargnier, a commencé le cinéma de façon très improbable. Incrusté sur le plateau de "La Décade prodigieuse", de Claude Chabrol, il y a été doublure lumière de Michel Piccoli. Avant que le comédien le prenne sous son aile et lui ouvre les portes de cette industrie.
INTERVIEW

Comment devient-on un réalisateur à succès ? S'il existe autant de réponses à cette question que de cinéastes, le parcours de Régis Wargnier est probablement l'un des plus insolites. Celui à qui l'on doit Indochine, Une femme française ou encore Est-Ouest a en effet été d'abord abandonné au cinéma, avant de s'introduire dans le milieu quasiment par effraction, grâce à un voisin. Il a raconté ces improbables débuts à Isabelle Morizet, samedi, dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie sur Europe 1.

Abandonné dans des cinémas lorsqu'il était jeune

L'abandon, d'abord. Lorsque Régis Wargnier était jeune, sa mère le déposait dans une salle obscure pour avoir du temps libre sans son fils. Le cinéma devient un refuge par défaut, une promesse d'évasion insoupçonnée, aussi, pour le jeune homme. "Il y avait souvent deux films, donc j'en avais pour tout l'après-midi", raconte le réalisateur. "Évidemment, ma mère voulait vivre sa vie. Mais aussi me la cacher. Elle avait une existence difficile, un mari absent, militaire, qui a refusé de divorcer. Dans les salles, je tombais sur des mélodrames américains avec des femmes qui ressemblaient à ma mère." 

Des femmes qui boivent, draguent dans des bars. Des femmes libres. "J'avais l'impression que le cinéma me disait 'On te le cache dans la vraie vie, mais regarde, c'est ça [qui se passe]'." L'expérience fut-elle douloureuse ? Régis Wargnier ne le dit pas ainsi, mais confie ensuite avoir vu un psy. Quant au septième art, "un rapport bizarre" se crée. Et, déjà, une envie d'en faire son métier germe.

Petite main au milieu des grands

Après un passage chez les jésuites, Régis Wargnier est sur le point de réaliser son rêve. Il est admissibles à l'Idhec, l'Institut des hautes études cinématographiques, ancêtre de la Femis. Mai 68 met un terme à cette ambition, l'école ferme. Régis Wargnier fonde alors un atelier de photographie avec un ami. Poussés par la nécessité d'avoir un peu d'argent pour s'acheter du matériel, ils se lancent dans la photographie de soirée. "On avait l'âge des gens qui sortaient. On repérait la soirée la plus marrante et on y revenait à trois heures du matin pour se joindre aux fêtards." C'est drôle, mais on n'en fait pas sa vie. Au bout d'un an et demi, Régis Wargnier abandonne.

Le cinéma revient dans sa vie grâce à son voisin, alors régisseur de plateau, qui lui propose de travailler sur le tournage de La Décade prodigieuse, de Claude Chabrol. Régis Wargnier devient doublure lumière de Michel Piccoli, tandis  que sa compagne de l'époque, rousse, double Marlène Jobert. "Sur le plateau, il y avait juste Piccoli, Jobert, Chabrol, [Orson] Welles et [Anthony Perkins", se souvient le cinéaste. "Et le dimanche, Stéphane Audran venait voir son mari [Claude Chabrol]."

Doublure de Bébel...

De quoi ne pas regretter l'Idhec, "si ce n'est que je ne savais pas que sur un plateau, doublure lumière est le niveau hiérarchique le plus bas, [au-dessous de] celui qui apporte le café", s'amuse Régis Wargnier. L'ambiance n'est pas toujours facile à supporter. À cette époque, la "bande de Chabrol" est déjà bien soudée, autour de plusieurs films majeurs, et personne ne prête grande attention aux deux petits nouveaux. "Ma copine n'a pas du tout aimé cette hiérarchie. Moi j'ai réalisé que c'était ce que je voulais faire. Je me suis dis que j'allais travailler et Piccoli m'a beaucoup aidé parce qu'il est devenu copain avec nous."

" La doublure officielle de Belmondo, un pote à lui, était en taule. "

Après ce film, sorti en 1971, Michel Piccoli traîne Régis Wargnier à la post-synchro et demande à Claude Chabrol de l'engager sur son film suivant. "Claude Chabrol m'a pris et vous savez ce que j'ai fait ? Doublure lumière de Jean-Paul Belmondo. Parce que la doublure officielle de Jean-Paul, un pote à lui, était en taule."

... et accompagnateur de Mia Farrow

Hélas, pendant le tournage de Docteur Popaul, "ce brave garçon sort de taule et on me dit que je coûte cher, donc que je vais retourner à Paris." C'est une drôle de coïncidence qui va préserver l'emploi de Régis Wargnier. Il est le seul à parler anglais correctement sur le plateau, et c'est l'Américaine Mia Farrow qui donne la réplique à "Bébel". "J'ai accompagné Mia Farrow pendant un mois, matin, soir, dans sa voiture. Je l'écoutais parler de tout."

D'astrologie, notamment. De cinéma aussi, probablement. Quatorze ans après Docteur Popaul, Régis Wargnier confirme que tout cela ne fut pas en vain en réalisant son premier film, La Femme de ma vie.