Entre vestiges communistes et "Get Lucky"…dans les coulisses des Choeurs de l’Armée Rouge

 Le Général Victor Eliseev, chef d’orchestre des Chœurs de l’Armée rouge depuis 1985, crédits Salomé Legrand Europe 1
Général Victor Eliseev, chef d’orchestre des Chœurs de l’Armée rouge depuis 1985. © Salomé Legrand, Europe 1
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CC avec Salomé Legrand , modifié à
Peu avant leur tournée en France, Europe 1 a pu visiter les coulisses des Chœurs de l’Armée rouge MVD dans la capitale russe. Reportage à Moscou.
REPORTAGE

Ils veulent véhiculer une belle image de la Russie à l’étranger et sur leurs épaulettes dorées repose une partie du soft power de Moscou. Europe 1, partenaire de leur tournée en France du 21 octobre au 8 novembre, a pu visiter les coulisses des Chœurs de l’Armée rouge MVD dans la capitale russe. Reportage.

Dans son vaste bureau de la Lubianka, les bureaux du Chœur situés exactement en face de l'entrée des services secrets russes, l'ex KGB, l’imposant Général Victor Eliseev, chef d’orchestre des Chœurs de l’Armée rouge depuis 1985 assume un rôle "d’ambassadeur" russe à l’étranger qui le pousse "à faire attention au moindre détail" du spectacle. "Nous voulons faire passer le message dans le monde que nous sommes un peuple bienveillant et que nous aimons la paix et l’amitié".   


Les Chœurs de l'Armée rougepar Europe1fr

"Un jour on a travaillé 4h sur une seule croche".  Dans les étages du bâtiment défraîchi, typique des académies culturelles soviétiques où un grand buste de Lénine trône encore en haut des escaliers, les quelque 150 membres des Chœurs répètent inlassablement. De chaque porte s’échappent des notes de musique. Danseurs, chanteurs ou musiciens, chaque groupe travaille non-stop de 10h à 14h, avec quelques séances communes dans une des salles ou la faucille et le marteau traînent encore au-dessus de la scène.

"J’arrive 1h30 avant pour échauffer mes cordes vocales, on est fortement encouragés à le faire", confie Alexey Dmitriev, l’un des solistes star de l’ensemble. D’autres ramènent des devoirs à la maison abonde le Général pointilleux. Son meilleur souvenir ? "Un jour on a travaillé sur une seule croche pendant 4h, et à la fin on a réussi à la chanter comme il le fallait et c’était vraiment un bonheur, ce ne sont que quelques notes, ça parait un tout petit détail mais ça fait notre image". Des danseurs en caleçon noir longent les murs froids. Au dernier étage, elles enchaînent barre au sol, chorégraphies et exercices d’entretien physique l’œil d’un maitre de ballet. Les Choeurs donnent jusqu’à 250 représentations par an.

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"Get Lucky ? Je pensais qu’ils allaient me parler d’un tube d’Edith Piaf". Depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, le Général, doyen de l’ensemble musical, n’a "pas senti de grande différence dans son travail", si ce n’est l’opportunité d’élargir son répertoire. Lui qui avait avant toute chose abandonné L’Internationale - "je ne veux pas qu’on nous prenne pour des communistes"-, profite de l’influence d’un producteur français, Thierry Wolf pour moderniser la troupe. Notamment en intégrant à chaque tournée, deux ou trois titres locaux que les chanteurs apprennent phonétiquement.

Apogée de cette mue : Les chœurs de l’Armée chantent Get Lucky. Tout est parti d'un toast à la vodka lors des (secondes) noces du Général en novembre 2013 : Au milieu des vœux de bonheur, le producteur propose que les militaires reprennent une chanson française. "Je pensais qu’ils allaient me parler d’un tube d’Edith Piaf", explique Thierry Wolf, tout à coup dubitatif sur la capacité de l’ensemble à chanter "du funk". Piqués, les Chœurs lui font écouter l’enregistrement quelques jours plus tard. Balancée sur Youtube le 29 janvier 2014, la vidéo atteint 5 millions de vues en un mois avant que le titre ne soit joué pour l'ouverture des Jeux olympiques de Sotchi, le 7 fevrier 2014 à la demande expresse du Ministre de tutelle des Chœurs.

Alexey Dmitriev est l’interprète phare de ce titre. Il s’éclate sur scène avec un inimitable jeu de genoux. Le soliste, 40 ans et visage sans aspérité de jeune premier, est l’autre versant de la modernisation des Chœurs. C’est un civil recruté il y a presque 10 ans lors d’un des castings organisés tous les 15 jours pour ne pas rater la crème de la crème musicale du pays. Bercé par une mère alpiniste aux chansons patriotes de la Seconde Guerre mondiale, il n’oublie jamais moins le rôle initial des Chœurs, créés en 1939 pour soutenir les troupes qui se battent face aux nazis.

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Il poste sur Facebook des photos de son koala en peluche dans chacun des pays où se produisent les Chœurs, en hommage au nain de jardin d’Amélie Poulain, mais arbore tout aussi fièrement ses médailles. Une lui a été remise après un mois à réconforter les troupes russes en Tchétchénie, un mois à chanter de camps avancés en hôpitaux pour regonfler le moral de« soldats isolés, coupés du monde ».

Ils donnent aussi de la voix à toutes les cérémonies officielles et nationales russes, selon les commandes du Kremlin. De quoi refroidir certains promoteurs, en pleine crise sur le conflit en Ukraine. Malgré une tentative de changement de nom en anglais, The Red Choir, le Cœur rouge pâtit du contexte international. Il rencontre en ce moment des difficultés à tourner aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, confie leur producteur à Europe 1.