Des hommes, le reportage de Jean-Robert Viallet et Alice Odiot, raconte les Baumettes de l'intérieur (illustration) 2:07
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Guilhem Dedoyard , modifié à
Montrer la prison de l'intérieur, c'est le défi de Jean-Robert Viallet et Alice Odiot, réalisateurs du film "Des hommes", tourné dans l'ancienne prison des Baumettes. 25 jours de tournage pour retranscrire la dureté mais aussi l'humanité de ce lieu, comme ils le racontent dans C'est arrivé demain. 

La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, comme en janvier dernier, pour la surpopulation carcérale dans ses prisons. L'un des établissements emblématiques de cette situation, l'ancienne prison des Baumettes à Marseille - aujourd'hui fermée - a accepté d'accueillir pendant 25 jours, en immersion, Jean-Robert Viallet et Alice Odiot, qui y ont réalisé le film Des hommes, en salles mercredi. En compagne d'Yves Feuillerat, directeur du nouveau centre pénitentiaire de Marseille, ils racontent les enseignements de ce reportage, dans C'est arrivé demain, sur Europe 1. 

Faire oublier la caméra pour vivre une "expérience par procuration"

L'objectif des réalisateurs est de donner à voir le quotidien des prisons, comme l'explique Jean-Robert Viallet : "On avait pour but de rentrer à l'intérieur de la prison et d'emmener le spectateur, pour faire une sorte d’expérience par procuration de ce que c'est la prison, c'est pour ça qu'on est resté dans le bâtiment où les gens vivent, passent le plus clair, ou le plus sombre de leur temps : 22h30 sur 24 à l'époque".

Pour réussir à retranscrire cette ambiance les deux journalistes ont cherché à faire oublier la caméra. "Les détenus étaient tous au courant que ce film allait se tourner, qu'il était en cours. On se dit toujours que la caméra est oubliée par les détenus, je crois plus qu'elle est oubliée par les spectateurs, on ne la voit plus. Les détenus eux s'en saisissent, c'est un moyen pour eux d'être en contact avec l'extérieur et de montrer, de dire qui ils sont", analyse Jean-Robert Viallet. L'occasion aussi de battre en brèche "les représentations extérieures faussées par rapport à la prison" selon Yves Feuillerat, directeur des Baumettes.

"Un reportage où la caméra est oubliée"

Cette plongée au plus près des détenus et des surveillants témoigne ainsi de la profonde humanité qui persiste en prison. Pour Alice Odiot, "l'humanité elle est là partout, on est parti du désir qu'ils avaient d'être filmés, de parler d'eux, de leurs conditions de vie, mais aussi du désir du personnel pénitentiaire de montrer dans quelles conditions ils travaillent avec ces hommes-là". Une immersion jusque dans les cellules explique-t-elle encore : "Une cellule, ce n'est pas très grand, ils sont deux ou trois et nous on rentre dans une intimité qui est extrêmement particulière : leur sphère émotionnelle, leurs silences, leur ennui, leur corps marqué. On a eu la chance d'être accepté par eux." 

"J'ai ressenti ces images avec beaucoup de satisfaction, c'est un reportage ou la caméra est oubliée et où on peut voir en direct cette prise en charge des détenus par un personnel pénitentiaire qui a le désir de bien faire son métier", souligne Yves Feuillerat, directeur du nouveau centre pénitentiaire de Marseille, "dans un contexte malheureusement qui était celui des Baumettes historiques, c'est-à-dire une prison surpeuplée et à bout de souffle, au bout de 80 ans de fonctionnement et de sur-occupation". 30.000 m2 où les détenus cohabitaient dans le bâtiment aujourd'hui fermé.

"En prison, on s'échange aussi du café du sucre, ce n'est pas que le règne de la drogue"

Le documentaire tente de ne rien édulcorer. "Nous filmons la réalité, nous n'inventons rien, la vie à l'intérieur, la récidive régulière. Les détenus ont environ 15 affaires à leur casier" affirme Jean-Robert Viallet. Cela inclut la violence et les trafics de drogue, même si pour Alice Odiot, il est important de nuancer. "Il n'y a pas que ça en prison, on s'échange aussi du café du sucre, ce n'est pas que le règne de la drogue. Je pense que c'est une démonstration de virilité permanente parce que oui, il faut survivre. La cour de promenade on l'a filmée derrière les barreaux, c'est un endroit extrêmement dangereux, les surveillants ne peuvent pas y rentrer. La violence est partout, il faut se défendre en permanence".

La réalité c'est aussi le témoignage de Christelle Rotach, l'ancienne directrice de la prison, qui a fait entrer les deux réalisateurs dans cette prison "pour nous montrer absolument tout et sans rien nous cacher", rapporte Alice Odiot. "Elle nous disait : 'j'ai une personne trisomique dans ce bâtiment, la nuit je n'y ai aucun surveillant, faute de moyens' donc les surveillants ouvrent la porte le matin en espérant que rien ne se soit passé pendant la nuit".

"Ce que disent les détenus c'est que la prison les changera à tout jamais et qu'ils auront énormément de mal à se réadapter au monde des hommes libres" rapporte encore Alice Odiot. Pour Yves Feuillerat, le documentaire, "c'est un outil pédagogique, qui montre le fonctionnement d'une prison vétuste, mais j'ai l'optimisme de penser qu'avec l'évolution des mentalités, la construction de structures nouvelles, la prise en charge des détenus ne sera qu'améliorée et il faut effectivement lutter contre la surpopulation."