Alain Souchon : "Gérard Manset a créé un monde"

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Aurélie Dupuy
Le mystérieux Gérard Manset sort l'album "A bord du blossom". Chose rare, il a accepté de se confier à Europe 1. Mais c'est au travers de ses amis Alain Souchon et Marc Lambron qu'il se dévoile le plus.
INTERVIEW

Il est l'un des plus secrets, des plus mystérieux des chanteurs. Il n'existe presque aucune interview de Gérard Manset, quasiment aucune photo. Sur les rares qui ont été prises, il chausse des lunettes noires. Plus fou encore, il n'a jamais fait de concert en 50 ans et 22 albums de carrière. Le dernier, A bord du blossom, vient de sortir. Pour l'occasion, l'artiste a accepté une balade dans Paris avec Frédéric Taddéï. Une promenade pour tenter de cerner le personnage, révéré par ses pairs, au rang desquels figurent Alain Souchon et l'Académicien Marc Lambon.

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"Une sorte d’absentéisme". Au Select, avec un Perrier tranche, le musicien donne les raisons de sa discrétion : "une sorte d’absentéisme ou de distance préserve l’estime, ça n’use pas", explique-t-il. Et s'il n'a jamais fait de scène, c'est parce qu'il se considère d'abord comme un compositeur. Dans la richesse de son oeuvre, il n'a d'ailleurs fait qu'un seul tube, Il voyage en solitaire, un morceau matraqué sur les radios entre L'été indien et J'ai encore rêvé d'elle.

Poussant la balade, le duo file rejoindre Alain Souchon dans un café de la place Maubert. Souchon tourne au jus d'ananas, Manset au café crème. Le chanteur de Foule sentimentale est venu en métro, sans peur d'être abordé sans arrêt : "Il peut y avoir un sourire ou un clin d’œil" si on le reconnait, tout au plus. Manset, lui, "a tout fait" pour ne pas être reconnu dans la vie, dit-il. A peine s'il a fait quelques télés, à 20 ans. "Je sortais après un plateau, il y avait dix personnes à faire signer des pochettes de disque, c’est traumatisant", lance Gérard Manset, estimant que le gars qui chantait "était quelqu'un d'autre". Alain Souchon se souvient : "Je le voyais à la télé comme un martyr ! Ça faisait partie des choses qui m’emmerdaient qu’il ait du succès et que j’enviais."

Aznavour, Brel. Depuis, Gérard Manset n'a pas changé d'avis : "celui qui est mort il n'y a pas longtemps - Aznavour, grand bonhomme quand même - je ne sais pas si cela lui a servi d'avoir vu autant d’émissions sur lui. On voit le côté cabot, le mec qui veut avoir le geste qu'il faut. Ça me dérangeait chez Brel, Alain n’est pas comme ça."

L’intéressé acquiesce : "C’est le seul défaut d’Aznavour". Et enchaîne : "Le show-bizz, qu’est-ce que c’est ? Des gens qui sont dans la lumière, les étoiles, le pognon, les Ferrari. Et puis, y’a toute une bande de gens à coté de ça, qui font leur chemin en écrivant sincèrement et en faisant de la musique sincèrement." Manset est pour lui de ceux-là. "Il a créé un monde. J’ai un coffret avec tous ces disques, ça représente des années de travail. Vous vous plongez là-dedans, c’est extrêmement envoûtant. Sa musique et ses paroles, ça vous embarque. C’est tout à fait marginal mais il a toute une bande de Sioux qui le suivent."

Entendu sur europe1 :
C’est tout à fait marginal mais il a toute une bande de Sioux qui le suivent

"Concept albums". L'écrivain Marc Lambron fait partie de la bande. Après un détour rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, où Manset faisait du karaté, c'est l'Académicien qui poursuit le portrait : "Je suis content de le voir parce qu’il est invisible. C’est le seul chanteur, compositeur français, qui vit en réalité dans une brume marine de littérature", décrit l'ami. "J’aurais presque envie de l’annexer du côté de l’écrit, même si en plus, il y a la musique et la voix. Ce qui me frappe aussi chez Manset, c’est l’ambition, la façon dont il maintient de manière inflexible et un peu souterraine sa ligne. Il est le seul en France à faire des concept albums. Il a l'idée que l’album, c’est un récit, un ensemble, une sinuosité, un voyage." Manset précise : "On est dans une sorte de récit musical qui me permet de ne pas avoir d’intervenant extérieur. C’est d’autant plus simple de desserrer ou resserrer les boulons."

Marc Lambron rebondit : "Je dirais que tu es un control freak. Un obsédé du contrôle, et un obsédé des grands moyens musicaux, trois guitaristes, des ensembles de cordes."