Tennis : le jour où Billie Jean King remporta la "bataille des sexes"

Dans "Battle of the sexes", Steve Carell incarne Bobby Riggs et Emma Stone prête ses traits à Billie Jean King.
Dans "Battle of the sexes", Steve Carell incarne Bobby Riggs et Emma Stone prête ses traits à Billie Jean King. © Fox Searchlight Pictures
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Le film “Battle of the sexes” revient sur l’improbable histoire du match de tennis qui opposa en 1973, Bobby Riggs, vieux champion machiste, à Billie Jean King, meilleure joueuse de l'époque.

C’est l’histoire d’un match de tennis improbable. Un homme contre une femme. Un retraité contre une numéro 1 mondiale. Nous sommes en 1973 et Bobby Riggs, ancienne gloire du tennis des années 1940, affronte Billie Jean King, nonuple vainqueur de Grand Chelem. Le premier veut prouver la supériorité du tennis masculin sur le tennis féminin. La seconde espère faire avancer la cause des femmes. A la clé, un moment de sport et de spectacle historique. Avant de découvrir mercredi Battle of the sexes, film avec Steve Carell et Emma Stone, Europe1.fr vous replonge dans les coulisses de ce match fou.

Vieux champion des années 1940. Bobby Riggs a 55 ans quand il se met en tête de prouver la domination biologique du tennis masculin. Ses belles années sont loin, lui qui a commencé la compétition, en amateur, à seulement 15 ans. C’était au début des années 1930 et le jeune Riggs, petit mais très rapide, fait forte impression en remportant quelques tournois ici et là. En 1938, il soulève la Coupe Davis à 20 ans. L’année suivante, il réussit l’exploit de gagner à Wimbledon en simple, en double et en double mixte. Puis, il remporte coup sur coup l’US Open en 1940 et 1941.

Après quoi, Bobby Riggs passe professionnel mais sa carrière est freinée par la Seconde guerre mondiale. Malgré tout, l’Américain est élu meilleur joueur du monde à quatre reprises entre 1941 et 1947 (à l’époque il n’y avait pas de classement ATP, les joueurs étaient classés par les journalistes et par leurs pairs). Après la guerre, Riggs se retire progressivement des courts, jusqu’à sa retraite du circuit en 1951. Devenu promoteur, Bobby Riggs organise des matchs aux Etats-Unis. Les années 1960 marquent un tournant pour ce sport jusqu’ici réservé à une certaine élite. L’ère Open ouvre le début du tennis moderne et la petite balle jaune (enfin blanche à l’époque) devient populaire.

" Si je perdais, ça nous ramenait 50 ans en arrière "

King décline une fois… Macho et provocateur, Riggs n’est jamais avare de commentaires désobligeants sur le tennis féminin. Flairant le bon filon, il décide début 1973 de transformer ses paroles en acte et de prouver une bonne fois pour toutes que les hommes sont supérieurs aux femmes sur un court de tennis. Il provoque donc la numéro 1 mondiale de l’époque (classement officieux), Billie Jean King, pour un match d’exhibition. L’Américaine, alors âgée de 29 ans, compte déjà neuf titres en Grand Chelem. Surtout, King est réputée pour son engagement féministe, réclamant régulièrement l’égalité des primes entre joueurs et joueuses de tennis. L’adversaire idéale pour Riggs donc.

… et Riggs triomphe. Mais l’invitation du champion retraité arrive au moment où Billie Jean King fait un break dans sa carrière. Elle zappe l’Open d’Australie et Roland-Garros. Désireuse que le match oppose réellement Bobby Riggs à la meilleure joueuse du moment, elle décline son invitation, l’invitant implicitement à se tourner vers sa rivale, Margaret Court. A 30 ans, l’Australienne a déjà décroché la bagatelle de 22 Grand Chelem (dont 11 à Melbourne, personne n’a fait mieux), sur les 24 qu’elle a accroché à son palmarès final (là encore, pas mieux, Serena Williams en est à 23). Court accepte d’affronter Riggs et le match a lieu le 13 mai 1973 en Californie, devant 5.000 spectateurs. Riggs fait le show en descendant des travées du stade avec des fleurs que Court accepte en faisant la révérence. Sur le terrain, Riggs use et abuse de lobs et d’amortis pour épuiser son adversaire. Le résultat est sévère : 6-2/6-1 pour le retraité qui se délecte.

Time Magazine Bobby Riggs

King accepte la provocation. Le match fait sensation et Riggs se vante partout d’avoir enfin démontré la supériorité masculine. Il fait même la couverture de Time Magazine. C’en est trop pour Billie Jean King. “J’ai su à ce moment-là que je devais l’affronter. Nous, les femmes, étions en train d’obtenir de véritables progrès. Je voulais que ça continue”, a raconté la joueuse à ABC, en 2013. King accepte donc le défi, consciente de la pression qui pèse sur ses épaules. “J’avais l’impression que si je perdais, ça nous ramènerait 50 ans en arrière”, dira-t-elle 40 ans plus tard à History. La championne accélère son entraînement et remporte au passage Wimbledon en juillet.

En confiance après la raclée infligée à Margaret Court, Bobby Riggs continue son “trash-talk” et multiplie les piques. “Billie Jean King est une star du tennis, mais elle ne vaut pas tripette devant moi. Le tennis féminin est bien en dessous du tennis masculin”, lance-t-il en guise de provocation d’avant-match. Événement médiatique colossal, la vraie “Bataille des sexes” a lieu dans le stade de l’Astrodrome à Houston, le 20 septembre, devant plus de trente mille spectateurs et 90 millions de téléspectateurs dans le monde.

Du spectacle et un match à sens unique. A nouveau, le show est au rendez-vous. Bobby Riggs entre dans le stade entouré de jeunes femmes, vêtu d’un survêtement aux couleurs de la marque de friandises Sugar Daddy et avec dans les bras un porcelet, symbole de la misogynie, à offrir à son opposante. Quitte à devoir entrer le jeu du retraité machiste, Billie Jean King y va aussi à fond, débarquant couverte de plumes dans un char tiré par quatre apollons, dans une évocation de Cléopâtre.

Vient l’heure de jouer au tennis. Et King est plus concentrée que jamais. “Je n’avais jamais joué au meilleur des cinq sets donc je savais que je devais absolument remporter le premier set pour partir devant”, explique la championne a posteriori. Mais le début du match est mal parti pour King : elle se retrouve menée 4-2 après un break de Riggs. Mais elle se reprend immédiatement et enchaîne les jeux pour finalement empocher le set 6-4.

Billie Jean King a appris de la défaite de Margaret Court. Elle ne joue pas le jeu agressif que Riggs attend d’elle et colle à sa ligne de fond, faisant courir son adversaire, âgé rappelons-le de 55 ans. Décontenancé par la perte de la manche, Riggs arrête ses pitreries et se met à jouer sérieusement. Mais le jeu de fond de court de King, plus véloce, le fait déjouer. Il opte donc pour le service-volée, un jeu plus exigeant physiquement. Résultat, le retraité s’épuise et s’incline sans gloire : 6-4/6-3/6-3.

" Je t’ai sous-estimée "

Un mal pour un bien. Après la balle de match, Riggs saute par-dessus le filet pour saluer King qui exulte. “Il m’a dit : je t’ai sous-estimée”, se rappelle la gagnante. Si, en public, l’ex-champion garde le sourire, en privé il se dit “dévasté” par sa défaite et s’enferme dans sa chambre d’hôtel. King n’a même pas le temps de savourer sa victoire que les critiques fustigent un match sans intérêt, faussé par la différence d’âge entre les deux joueurs (26 ans). On évoque même un match truqué, Riggs ayant passé un accord avec la mafia pour régler ses dettes de jeu. “Je lui ai juste botté les fesses ! Si Bobby m’avait battu, il gagnait un million de dollars. C’était dans son intérêt de gagner”, rappelle King en 2013.

Plus de 44 ans après cette “Bataille des sexes”, l’histoire a donné raison à la persévérance de Billie Jean King. Ce match fantasque a d’abord contribué à populariser le tennis, diffusé dès 1974 sur les chaînes nationales aux États-Unis et bénéficiant d’un public de plus en plus nombreux à chaque tournoi. Par ailleurs, la victoire de King a crédibilisé le tennis féminin. Peu avant Wimbledon 1973, elle avait fondé avec huit autres joueuses la Women’s Tennis Association (WTA) qui a gagné en poids après le match contre Riggs, jusqu’à obtenir, dès l’US Open 1973, l’égalité des primes entre hommes et femmes.

La bande-annonce de Battle of the Sexes :