Borg/McEnroe : le choc de la glace et du feu qui a retourné Wimbledon

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A gauche, la photo de Björn Borg à Wimbledon, à droite, celle de Sverrir Gudnason qui incarne le joueur dans le film Borg/McEnroe. © UPI / AFP / Pretty Pictures
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Il y a 37 ans, les deux tennismen s’affrontaient dans un duel épique en finale de Wimbledon. Un choc légendaire adapté au cinéma dans le film "Borg/McEnroe" qui sort mercredi.

"Ice vs. Fire". La glace contre le feu. Il y 37 ans, Wimbledon était le théâtre rêvé d’un match entré dans la légende du tennis. En finale du tournoi londonien, ce sont plus que deux champions qui s’affrontent, c’est une véritable opposition de style. D’un côté Björn Borg, 24 ans, numéro un mondial et déjà vainqueur de neuf tournois du Grand Chelem. "Iceborg" est un joueur calme, qui ne laisse transparaître aucune émotion et fait parler son jeu millimétré. De l’autre, John McEnroe, 21 ans, étoile montante du tennis mondial. Dauphin de Borg au classement, "Johnny le Rouge" pratique un jeu d’attaque fulgurant et se démarque par sa personnalité bouillonnante. Alors que "Borg/McEnroe", un film de Janus M. Pedersen sort mercredi au cinéma, avec Shia LaBeouf en McEnroe, Europe 1 revient sur ce match de légende.

Rivalité exacerbée. La finale a commencé bien avant de fouler le gazon du court central de Wimbledon. Depuis sa victoire à l’US Open en 1979, McEnroe a enrayé la domination de Borg. Les deux joueurs se disputent la place de numéro un mondial depuis le début de l’année. Quadruple tenant du titre, Borg est annoncé ultra-favori à Wimbledon. Mais la presse veut un challenger et monte en épingle la rivalité avec McEnroe (elle le surnomme "Superbrat", "sale morveux").

En retour, l’Américain fustige "les clubs de tennis qui exigent qu'on s'habille de blanc, qui excluent les Noirs, les juifs et Dieu sait qui, l'atmosphère feutrée des courts, où la moindre excitation fait hausser les sourcils". Dans ce tohu-bohu médiatique, Borg, véritable ascète du tennis, se tient à l’écart. Le tout dans le contexte explosif de la fin des années 70, alors que les tennismen sont vénérés comme des rockstars, Borg le premier.

McEnroe part à l’abordage. Comme prévu, Borg et McEnroe se retrouvent en finale le 5 juillet, sur un court central usé par deux semaines d’échanges et de pluie. A son entrée sur le court, McEnroe est hué par le public. Peu lui importe. Fidèle à lui-même, l’Américain part à l’assaut dès le premier jeu en montant constamment à la volée pour agresser Borg. Le Suédois, d’habitude adepte du fond de court, décide aussi de monter au filet mais se fait punir. Déstabilisé par les attaques fulgurantes de McEnroe, englué dans un jeu de volée qui n’est pas le sien, Borg passe à travers et concède la manche 6-1. Le public est sonné.

Borg, le tacticien. Dans le deuxième set, les débats s’équilibrent. Borg repense sa stratégie et alterne jeu de volée et de fond de court. McEnroe commet un peu plus de fautes et montre des signes d’agacement. Les trois opportunités de break manquées à 4-4 déconcentrent l’Américain - un service manqué entraîne un "fuck" retentissant - et, au sang-froid, Borg s’empare de son service au meilleur moment pour prendre le deuxième set 7-5.

Dans le dur, McEnroe perd cinq jeux de suite avant de se ressaisir. Mais c’est trop tard pour l’Américain. Borg, désormais rivé à sa ligne de fond, mène rapidement 4-1. Les deux joueurs pratiquent toujours un jeu d’un niveau exceptionnel, traversé de part et d’autre par des fulgurances inouïes. A 4-2, ils se disputent un jeu complètement fou : McEnroe manque cinq balles de break et au bout de neuf minutes, Borg se détache définitivement. Il remporte la manche 6-3, après deux heures de jeu.

Un tie-break de légende. Sous le soleil désormais pleinement estival de Londres, McEnroe ne s’en laisse pas compter. Loin d’être battu, l’impétueux américain se révolte. Ses attaques deviennent plus tranchantes. En face, Borg tient bon. A 4-4, il réalise même le break et le match semble plié. Mais McEnroe est encore vivant. Mené 40-15 sur le service de Borg, il efface magnifiquement deux balles de match puis débreake. Une grinta qui retourne soudainement le public, désireux de voir le duel de haute volée se poursuivre le plus longtemps possible. L’arbitre doit à maintes reprises réclamer le silence à des spectateurs pourtant réputés pour leur discipline.

Dos-à-dos, les deux champions sont contraints de disputer un tie-break qui va entrer dans l’histoire. McEnroe est le premier à lâcher et doit sauver une nouvelle balle de match à 6-5. Ce qu’il fait d’une volée de bout de raquette somptueuse. Rebelote à 7-6. Au bord de l’épuisement (il a joué la demi-finale du double la veille), "Big Mac" refuse d’abandonner le combat. Les deux hommes se rendent pour coup, se jetant sur chaque balle comme des morts de faim. Alors que Borg est toujours impassible sous son bandeau, McEnroe n’en croit pas ses yeux. Finalement, au bout de 20 minutes et après avoir sauvé au courage, et une fois grâce à l’aide du filet, cinq balles de match, McEnroe remporte le tie-break 18-16. Le public est debout.

Jeu, set et match. Dans le cinquième et dernier set, le combat repart de plus belle. Alors qu’ils sont sur le court depuis plus de trois heures, Borg et McEnroe continuent d’offrir un tennis spectaculaire. Le Suédois décide de tout donner sur ses mises en jeu, une stratégie payante puisque McEnroe se révèle incapable d’obtenir la moindre balle de break. Au bout du rouleau, il rate ses volées et se met en danger sur chaque jeu de service. Mais "Johnny le Rouge" ne rend pas les armes. A 6-6, les deux marathoniens doivent continuer, un match de Grand Chelem ne pouvant se terminer sur un tie-break. C’est le moment que choisit Borg pour accélérer. Sur son service, McEnroe finit logiquement par lâcher. Borg conclut sur sa huitième balle de match, 8-6 dans le dernier set.

Au moment même où la foule exulte et se lève comme un seul homme, Borg tombe à genou, foudroyé par la fatigue et le soulagement. Pas le genre à se laisser submerger par l’émotion, "Iceborg" se relève immédiatement pour saluer son adversaire. La poignée de main est tout juste cordiale. Sur leurs chaises, les deux joueurs semblent à peine conscients. McEnroe se tient la tête à deux mains alors que Borg s’autorise à peine un sourire. Ovationnés par le public, ils reçoivent leurs trophées mais n’ont même plus la force de les soulever.

Un match pour l’histoire. Deux mois plus tard, McEnroe prendra sa revanche sur Borg à l’US Open, à nouveau en cinq sets, puis de nouveau à Wimbledon l’année suivante, le premier de ses trois titres à Londres. Mais aucun de leurs affrontements n’a égalé ce match du 5 juillet 1980. Ce jour-là, les spectateurs ont assisté à un festival de services kickés, volées claquées, passings gagnants et lobs finement dosés. Un récital à deux voix d’une maestria intemporelle. Le plus fort dans tout ça ? McEnroe n’est jamais sorti de ses gonds ! Le match est tellement exceptionnel qu’en 2004, la BBC a édité la rencontre en DVD, un honneur rarissime (disponible en intégralité sur Dailymotion).

Ce n’est pas pour rien que cette finale entre Borg et McEnroe a longtemps été considérée comme le plus grand match de tennis de l’histoire (certains observateurs le pensent encore aujourd’hui). Il faudra attendre 2008 et une autre finale à Wimbledon entre Roger Federer et Rafael Nadal pour contester la suprématie de la finale de 1980. Le Suisse, numéro un mondial, avait été battu par l’Espagnol au bout de 4h47 d’un tennis extraordinaire de bout en bout (9/7 au cinquième set). Rendez-vous en 2045 pour le film ?

Borg/McEnroe, rejouer l’histoire

Le film du Danois Janus Metz Pedersen retrace la rivalité entre Borg et McEnroe, qui atteint son apogée à Wimbledon en 1980. Plus un thriller qu’un biopic, ce film recrée la tension électrique autour du match, de la préparation au tournoi à la remise des trophées. Grâce à la ressemblance des acteurs (Shia LaBeouf en McEnroe et Sverri Gudnasson en Borg) avec les deux anciens joueurs, on a l’impression d’y être, que tout peut exploser d’un instant à l’autre. Pour ceux qui n’ont pas vécu le match, c’est l’occasion de découvrir un moment à part dans l’histoire du sport. Pour les autres, c’est un bon moyen de revivre cet événement marquant.