Pourquoi sauver l’ours des Pyrénées, c’est sauver "un patrimoine inestimable"

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Les ours réintroduits depuis 1996 dans les Pyrénées sont d'origine slovène. (Image d'illustration) © GEORGES GOBET / AFP
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Romain David
La France va procéder à la réintroduction de deux femelles ours dans les Pyrénées-Atlantiques, alors que l’espèce n’est plus représentée dans cette région que par deux mâles.

"Si on ne fait rien, c’est la fin de l’histoire". Alain Reynes, le directeur de l'association Pays de l'Ours-Adet avait de quoi se féliciter mardi, après les déclarations de Nicolas Hulot. Le ministre de la Transition écologique et solidaire a en effet annoncé au Parisien la réintroduction de deux ours femelles à l’automne dans les Pyrénées-Atlantiques, et ce afin d’éviter que ces mammifères ne disparaissent totalement de la région. Une telle opération n’avait plus eu lieu en France depuis douze ans.

Une réintroduction à deux vitesses. Et pourtant, sur le papier, les chiffres semblent indiquer que la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées a plutôt été couronnée de succès ces dernières décennies, puisqu’à partir de huit ours lâchés entre 1996 et 2006, leur population s’élève désormais à 39 individus. Mais la quasi-totalité de ces ursidés vit dans la partie centrale de la chaîne montagneuse, quand les Pyrénées occidentales ont vu leur population d’ours continuer à décliner au fil des décennies. "La restauration de la population n’a pas pu commencer dans cette zone, faute de soutien de la part des politiques locales", déplore auprès d’Europe 1 Alain Reynes. Tant et si bien que le 8 mars le tribunal de Toulouse a condamné l’Etat français pour son manque d’investissement dans la protection de l’espèce après un dépôt de plainte de plusieurs associations.

Ce que la nature a mis des millénaires à construire. Aujourd’hui, seuls deux individus gambadent encore dans la partie orientale des Pyrénées, deux males, Néré et Cannellito, séparés des autres ours par les vallées d'Aure et de la Pique. "Nous sommes arrivé à la dernière extrémité pour réagir avant la disparition dans cette zone", alerte Alain Reynes qui tient à balayer l’argument fataliste, qui consisterait à vouloir laisser l’extinction suivre son cours sur ce territoire. "Chaque espèce est importante et aucune d’entre elles n’a à se justifier d’exister. Une espèce qui disparaît c’est une catastrophe, et sur les dernières décennies, on a accumulé pas mal de catastrophes. Il faut des millénaires à la nature pour former une espèce, et quelques années à l’homme pour la détruire. C’est un patrimoine inestimable", argue-t-il. 

Un combat "symbolique" pour Nicolas Hulot. En l’occurrence, ce patrimoine apparaît d’autant plus fragile que le mâle Cannellito, le seul descendant de Cannelle, abattue en novembre 2004 par un chasseur, est par là-même le dernier représentant vivant de la souche 100% pyrénéenne de l’ours brun. En effet, les individus réintroduits dans les années 1990 et 2000 viennent tous de Slovénie. "Je ne veux pas être le ministre qui assiste à la disparition de cette lignée", a assuré Nicolas Hulot. "Cet enjeu est surtout symbolique", glisse Alain Reynes tant le patrimoine génétique des ours pyrénéen et slovène est similaire, et les différences physiques et comportementales inexistantes. Au contraire, la survie de la population passe nécessairement par une régénération génétique, assure ce spécialiste. "Raison pour laquelle il est important que Cannellito puisse se reproduire, parce que ses gènes sont un peu différents de ses congénères", explique-t-il. "Avec Cannellito, c’est la diversité génétique de la population d’ours vivant dans les Pyrénées qu’il faut préserver", abonde également dans les colonnes du Parisien Patrick Haffner, responsable du pôle espèces au service du patrimoine naturel du Muséum d’Histoire Naturelle.

Vers un nouveau plan de conservation ? Néanmoins, la réintroduction de deux ourses n’est qu’une première étape pour pallier l’urgence de la situation. En septembre 2013, une expertise scientifique conduite par le Muséum national d’Histoire Naturelle  préconisait "au minimum", et avant 2018, un renforcement de quatre femelles dans les Pyrénées pour pouvoir sauver l’espèce sur le court terme. "Nous ne sommes qu’à la moitié d’un scénario qui n’est même pas de nature à maintenir la population dans la durée", avertit ainsi Alain Reynes, qui indique que les réintroductions doivent également se poursuivre dans la partie centrale de la chaîne montagneuse, là-aussi pour des questions de renouvellement génétique. Ce spécialiste espère ainsi que l’annonce de Nicolas Hulot sera surtout le point de départ d’une réflexion pour un nouveau plan de conservation, plus large et plus ambitieux, de l’ours brun dans les Pyrénées.