Pourquoi le Sénat veut mieux encadrer les écoles hors contrat

© XAVIER LEOTY / AFP
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Ces écoles "libres" se multiplient en France. Le Sénat examine une proposition de loi, soutenue par le gouvernement, visant à renforcer les contrôles face aux risques de dérives.

"Comment se fait-il que dans ce pays, il soit plus facile d'ouvrir une école qu'un kebab ou une laverie automatique ?", s’interrogeait, la semaine dernière lors de l’Emission politique sur France 2, une militante LR devant le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Au cœur de sa question : les écoles privées hors contrat. En guise de réponse, Jean-Michel Blanquer a brandi la proposition de loi de la sénatrice centriste Françoise Gatel, qui arrive ce mercredi en débat au Sénat. Son objectif : lutter contre les dérives idéologiques et sectaires dans ces écoles dites "libres", qui se multiplient en France. Un "outil juridique qui va dans le bon sens", a défendu le ministre, qui soutient le texte. Mais de quoi parle-t-on ?

Des écoles hors contrat en plein boom

Selon les statistiques de l’Education nationale, 65.000 élèves sont scolarisés dans 1.300 écoles hors contrat. Une goutte d’eau comparée au 12 millions d’élèves scolarisés au total en France. Mais qui ne cesse de prendre de l’ampleur : entre 2011 et 2017, on est passé de 31 ouvertures d’établissement par an à 122 et ces dernières attirent environ 5.000 élèves supplémentaires chaque année.

Par école hors contrat, il faut comprendre une école de niveau primaire ou secondaire qui n’a signé aucun accord avec l’Etat. La plupart des écoles privées en France reçoivent des subventions du ministère de l’Education et leurs enseignants sont rémunérés, voire recrutés, par l’Etat. En contrepartie, celles-ci doivent respecter un enseignement et une méthode définis avec le ministère. Les écoles hors contrat, elles, ne reçoivent aucune subvention (les prix d'inscription vont à peu près de 800 à 30.000 euros par an). Et elles peuvent mettre en pratique l’enseignement qu’elles souhaitent.

Seule obligation : à 16 ans, leurs élèves doivent avoir le même niveau (en maths, en sciences, en français, en Histoire, en langues etc) que les autres. Charge aux services d’inspection des différentes Académies de s’en assurer. La majorité (61%) de ces écoles sont aconfessionnelles, 28% d’entre elles pratiquant la méthode Montessori. 39% d’entre elles ont une orientation religieuse et délivrent des enseignants confessionnels en parallèle des cours classiques : 25% sont chrétiennes, 6% juives et 4% musulmanes.

Des contrôles difficiles, et des dérives déjà constatées

Le problème aujourd’hui, c’est qu’il est difficile de s’assurer qu’une école respectera le socle commun. Il suffit, pour ouvrir une école primaire privée par exemple, d'être bachelier, âgé d'au moins 21 ans, de disposer de locaux et de faire une déclaration en mairie. Le maire dispose ensuite de huit jours pour s'opposer à l'ouverture de l'établissement, un délai dénoncé par l'Association des maires de France, selon qui le maire n’a pas le temps d’effectuer de contrôle.

L'Etat (préfet, recteur, procureur) dispose, lui, d'un mois pour s'opposer. Et les seuls motifs d’opposition possibles (datant de 1886) sont l’hygiène et la sécurité des locaux, une atteinte aux "bonnes mœurs" des enseignements proposés ou leur caractère explicitement opposé à l’ordre public. Une fois ce délai d’opposition passé, l'école ne peut être fermée que sur décision de justice, après un processus long et compliqué.

" Ces mesures vont aboutir à ce que seules les chaînes d’écoles lucratives puissent continuer de se développer "

Pour Françoise Gradel, l’administration dispose de "motifs trop restreints pour garantir aux enfants une instruction de qualité et prévenir les dérives potentielles (risque de radicalisation, insuffisance pédagogique...)", peut-on lire dans la proposition de loi. En 2016, l’inspection académique de Versailles a d’ailleurs lancé une série de contrôles inopinés dans 30 écoles hors contrat (aussi bien confessionnelle que laïque). Résultat : "des contenus erronés, tendancieux" ou des enseignements "évités" ont été constatés. Certaines disciplines comme les sciences, l’histoire ou l’EPS étaient délaissées, par exemple.

Vers un renforcement des contrôles en amont, tout au long de la scolarité

La proposition de loi de Françoise Gatel vise donc à muscler les contrôles, tant avant l’ouverture des écoles que durant l’année scolaire. Le texte impose à tous ceux qui veulent ouvrir un établissement de détailler trois mois à l’avance leur dossier devant un "guichet unique", derrière lequel se trouveront des représentants de la mairie, de la préfecture et du rectorat. Noms des futurs enseignants, plan des locaux, projet pédagogique, programmes des cours, modalités de financement, horaires… Tout devra être précisé et les pouvoirs publics pourront s’opposer (devant les tribunaux) s’ils jugent ce dossier non conforme. La proposition de loi prévoit également des contrôles annuels après l’ouverture de l’établissement. Et créé la possibilité de "mettre en demeure" les parents de changer d’établissement si des dérives sont constatées.

S’il a le soutien du gouvernement, ce panel de mesures doit encore être voté par le Parlement. Et le texte n'est pas encore assuré de faire l'unanimité. "Toutes ces mesures, concrètement, vont surtout aboutir à ce que seules les chaînes d’écoles lucratives puissent continuer de se développer, car les autres n’auront jamais les reins assez solides ne serait-ce que pour payer pendant trois mois des locaux et des enseignants à vide", déplore dans Le Parisien Anne Coffinier, la directrice de la Fondation pour l’école, une association qui milite pour le développement du privé hors contrat et qui a l’oreille de nombreux élus locaux, de gauche et surtout de droite.

La Fondation dernière dénonce un texte "liberticide", et craint qu’il ne brise l’essor de ces écoles qui "constituent une alternative pédagogique" à l’Education nationale. D'après Libération, 23 amendements ont été déposés à la proposition de loi.

Najat Vallaud-Belkacem avait essayé, en vain

En janvier 2017, le Conseil constitutionnel avait censuré un projet de loi porté par l’ancienne ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem. Ce projet soumettait les ouvertures des écoles hors contrat à une "autorisation préalable" de l’Etat. Mais pour le Conseil Constitutionnel, le texte portait une "atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’enseignement, indissociable de la liberté d’association". Contrairement à ce projet de loi, la proposition de Françoise Gatel n’impose pas d’autorisation préalable. Elle laisse simplement deux mois (pour le maire) et trois mois (pour l’Etat) aux pouvoirs publics avant de faire opposition à l’ouverture d’une école devant les tribunaux.