Pêche électrique : c'est quoi le problème ?

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avec LD , modifié à
Le Parlement européen se prononce mardi sur la généralisation de cette pratique dans l'Union, au grand dam des défenseurs de l'environnement mais aussi des pêcheurs français.
ON DÉCRYPTE

La pêche miraculeuse, épisode bien connu du Nouveau Testament, a-t-elle dépassé la fiction pour devenir réalité ? Oui, à en croire les pêcheurs néerlandais. Grâce à la pêche électrique qu'une partie d'entre eux pratiquent, les prises sont beaucoup plus rapides et coûtent moins cher en frais de fonctionnement. Et l'aubaine pourrait bientôt profiter à tous les pays européens. Le Parlement européen de Strasbourg se prononce en effet mardi sur la généralisation de cette technique de pêche. Mais la mesure divise. Avantageuse pour l'environnement selon les Pays-Bas, la pêche électrique a aussi ses détracteurs chez les pêcheurs français et les ONG de défense de la mer.

5% des flottes équipées. Sur quoi précisément vont se prononcer les députés européens mardi ? Ils vont voter une mesure enfouie dans un texte de loi mastodonte de 25 chapitres et 750 amendements sur les mesures techniques de la politique commune de pêche. Son contenu ? Autoriser les pays à équiper 5% de leur flotte de filets électrifiés, tous "métiers" compris, c'est à dire quel que soit le type de bateau et donc le type de poisson visé. Ce vote suit logiquement une décision de la Commission européenne de la pêche datant du 25 novembre dernier qui se prononçait en faveur de cette généralisation.

Des filets dotés d'électrodes. Officiellement appelée "pêche au chalut à impulsions", la pêche électrique, inventée en 1992 par un pêcheur néerlandais, se base sur un principe simple : un courant électrique est envoyé dans des électrodes placées sur les filets. Ces derniers, traînés par les chalutiers, envoient alors des décharges de quelques secondes en direction des fonds. Les poissons, paralysés, n'ont plus alors qu'à être ramassés par les filets. La technique se trouve être très efficace pour traquer les poissons plats, comme la sole, la limande ou encore les crevettes grises, qui vivent posés sur les fonds marins. Mais si l'élargissement est décidé, la pêche électrique visera aussi les espèces évoluant plus haut comme le cabillaud ou la lotte.

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Quand les Pays-Bas passent entre les mailles du filet. Si l'amendement sur lequel les députés européens doivent se prononcer mardi étonne, c'est que la pêche électrique est interdite depuis 1998 dans l'Union Européenne. Mais un pays a réussi à y échapper. Depuis 2007 et à titre expérimental, les Pays-Bas ont en effet réussi à faire accepter un projet de recherche sur cette pratique. En toute illégalité, dénonce l'ONG Bloom. Selon cette dernière, au lieu des 15 chalutiers autorisés par  Bruxelles à "tester" la pêche électrique, ce sont 84 navires qui ont été équipés. Le tout subventionné par l'UE à hauteur de 3,8 millions d'euros, avance encore l'ONG. Une flotille à laquelle il faut ajouter 12 chalutiers allemands et dix britanniques, tous à capitaux néerlandais.

Moins de CO2 et de prises accessoires. Pour les Pays-Bas, cette pratique a de nombreux avantages. Elle est très économique, selon eux, car le bateau consomme moitié moins de carburant. La technique est donc plus durable, selon Amsterdam, qui met en avant la réduction de CO2 émis par ses chalutiers. Autre avantage mis en avant par les pêcheurs néerlandais : cette technique préserve mieux les fonds marins. Plutôt que de les racler comme le font les chalutiers de fond, les filets électrifiés soulèvent un centimètre maximum de sable. A la fois moins traumatisant pour l'environnement et suffisant pour déloger les poissons de leur cache. Enfin, toujours selon les pêcheurs néerlandais, la pêche électrique permet de diminuer de "50% les captures accessoires", ces prises qui n'intéressent pas le marché et qui sont souvent rejetées directement en mer.

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Tout "l'écosystème des fonds marins" impacté. Du côté des scientifiques, les avis ne sont pas aussi tranchés pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas d'étude sur les effets de la pêche électrique. C'est d'ailleurs ce que déplorait dans un rapport publié en novembre 2006 un organe scientifique affilié à l'UE, le Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP). Selon ce dernier, la pêche électrique soulevait des questions qu'il convenait de "résoudre avant que l'on accorde des dérogations". Un avis enterré par la Commission européenne qui, un mois après, donnait son feu vert aux Pays-Bas. Même discours du côté du Conseil international pour l'exploration de la mer qui centralise les recherches européennes : en février 2016, dans un rapport, il en appelait au principe de précaution et invitait à investiguer afin de connaître les effets à long terme.

Face à des inconnues, la prudence s'impose aussi selon Philippe Cury, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement et spécialiste de la pêche. Interrogé par Le Figaro, il rappelle que l'utilisation de l'électricité "impacte tous les animaux qui vivent sur les fonds marins. Et au fond, il n'y a pas que des poissons, il y a des mollusques, des vers marins, des éponges. C'est une partie importante de l'écosystème dont dépendent les poissons pour se nourrir".

"Un taser pour soles". De leurs côtés, les ONG de défense de l'environnement avancent des preuves  de l'impact violent de cette pêche sur la faune marine. Selon l'ONG Bloom, "les poissons remontés dans les chaluts montrent souvent des brûlures, des ecchymoses et des déformations du squelette consécutives à l’électrocution", rapporte-t-elle sur son site internet. Pour l'association française Robins des bois, la pêche électrique est un "taser pour soles" qui provoque chez les poissons "réactions épileptiques, torsions de la colonne vertébrale, ruptures de la moelle épinière, hémorragies internes et émissions précoces d’œufs non viables". Selon d'autres ONG enfin, larves, œufs et juvénils sont aussi tués par le courant émis par les électrodes. De quoi entamer à grande vitesse les ressources halieutiques.

Les soles désertent-elles les eaux ? L'inquiétude fait écho à celle des pêcheurs français. A Dunkerque, ils se plaignent d'attraper de moins en moins de soles, un dommage pour leurs revenus car il s'agit d'un poisson cher. Selon eux, l'espèce est décimée par la pêche électrique néerlandaise. Idem du côté de Boulogne où le Comité de pêche accuse les Pays-Bas de surpêcher. Il déplore d'être désormais obligé d'aller travailler plus à l'ouest dans la Manche pour échapper à la concurrence des Pays-Bas. Le tonnage de la pêche française, lui, a reculé en 2016 dans plusieurs catégories et surtout sur la façade atlantique  : -3% pour les poissons blancs, -1% pour les petits pélagiques et -8% pour les poissons fins dont la sole qui a reculé de 15%. Dans les Hauts-de-France, "c'est simple, en 2012 nous pêchions 940 tonnes de soles, ce chiffre est tombé aujourd'hui à 400 tonnes", rapporte dans le Figaro Stéphane Pinto, le représentant des fileyeurs (un type de chalutiers, ndlr) de cette région.

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La France opposée à une généralisation. En attendant le vote européen, les pêcheurs français peuvent au moins se rassurer avec la position de la France. En février 2017 déjà, l'ancienne ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, avait envoyé un courrier à la Commission européenne afin d'exprimer la ferme opposition de Paris à la pêche électrique. Aujourd'hui, la donne n'a pas changé, 249 députés de tous bords, auteurs d'une tribune publiée dans Le Monde mercredi dernier, se disent opposés à cette pratique "qui fait honte à l'Europe". Et le 13 décembre dernier, interpellé à l'Assemblée nationale, le patron de LREM, Christophe Castaner, l'affirmait : "il n'est pas question de revenir sur cette interdiction". Yannick Jadot, député européen, dénonce aussi la pêche électrique : "les pêcheurs-artisans qui passent derrière ces fameux chalutiers électriques disent 'la mer est devenu un désert, un cimetière, nous sommes en train de crever et c'est la vie des territoires côtiers qui est en train de mourir'", déplore-t-il au micro d'Europe 1. 

Les rayons des supermarchés français pas concernés ? Jeudi dernier, c'est le monde de la gastronomie qui s'est exprimé. De grands chefs français, espagnols, italiens et allemands ont signé un manifeste contre la pêche électrique en Europe. Ils s'y engagent à "n'acheter aucun produit issu de cette méthode de pêche". "Les chalutiers électriques produisent des captures d’une qualité déplorable, stressées et souvent marquées d’hématomes consécutifs à l’électrocution. Les poissons sont de si mauvaise qualité qu’on ne peut rien en faire", expliquent-ils. De plus, selon eux, "la pêche électrique est non sélective et menace de mettre en péril tout organisme vivant au fond de l’océan". La grande distribution, elle aussi, a réagi. Dès novembre dernier, Intermarché a décidé de se positionner en retirant de ses rayons les espèces pêchées "selon des méthodes contestées". Carrefour et Auchan se sont contentées, pour le moment, de prévenir leurs fournisseurs qu'ils n'accepteront plus ce poisson. Mais, en cas de généralisation, la mesure s'annonce d'ores et déjà compliquée à mettre en place pour des questions de traçabilité.