Moines de Tibéhirine : pourquoi le juge Trévidic se rend-il en Algérie ?

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Le magistrat antiterroriste se rend sur les lieux de sépulture des moines exécutés en 1996 afin d'assister à l'exhumation des têtes et à leur autopsie.

Dix-huit ans après les faits, le mystère entourant l'exécution des sept moines de Tibéhirine s'approche enfin d'un nouveau développement, peut-être décisif. Le juge antiterroriste français Marc Trévidic et sa collègue Nathalie Poux, en charge des investigations sur l'assassinat des moines français enlevés puis tués en 1996, sont arrivés dimanche en Algérie pour une visite d'une semaine, trois ans après en avoir fait la demande.

Si le magistrat avait obtenu un accord de principe des autorités algériennes dès novembre 2013, cette visite sur les lieux du drame a été reportée à deux reprises cette année, notamment par l'absence d'une invitation officielle d'Alger, qui est finalement tombée en septembre dernier.

>> Quel est le but de ce voyage, près de deux décennies après les faits ? Que peut-on vraiment en espérer ? Europe 1 fait le point.

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Quel est le but de cette visite ? Les circonstances de la mort des sept moines de Tibéhirine, survenue dans la période trouble de la guerre civile algérienne, restent encore aujourd'hui entourées de mystère. Officiellement, les moines ont été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère près de Médéa, à 90 km d'Alger. Le 21 mai, un communiqué du GIA (le Groupe islamique armé) a annoncé qu'ils ont été égorgés. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés et seules leurs têtes sont rendues et encore aujourd'hui enterrées à Tibéhirine.

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Voilà pour la version officielle. Mais depuis 2009, la justice française a élargi le champ de ses investigations après le témoignage d'un ancien attaché de défense à Alger évoquant une possible bavure de l'armée algérienne maquillée en exécution. C'est donc pour faire toute la lumière sur ce doute que les enquêteurs se rendent en Algérie.

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© Capture d'écran - monastere-tibhirine.org

Les demandes de Trévidic validées très partiellement. Afin de pouvoir traverser la Méditerranée et pousser ses investigations jusqu'en Algérie, le juge du pôle antiterrorisme du tribunal de grande instance de Paris a d'abord adressé à l'Algérie fin 2011, une commission rogatoire internationale (CRI) détaillant sa requête. Celle-ci s'articulait en deux points :

L'audition d'une vingtaine de témoins dont des terroristes repentis et un déplacement à Tibéhirine pour exhumer les têtes afin de pratiquer une expertise ADN et une autopsie.

> Sur les auditions : Les autorités algériennes ont opposé leur véto à cette demande de Marc Trévidic, en assurant que ces témoins seraient entendus par un juge du pôle pénal d'Alger, compétent dans les affaires de terrorisme et de criminalité, où est instruit le dossier. Le juge algérien est ainsi censé lui transmettre ensuite les PV d'auditions. Mais en septembre dernier, le journal Jeune Afrique indiquait sur son site que le magistrat n'avait pas reçu le moindre procès verbal d'Alger.

Ce sera peut-être chose faite à l'issue d'une visite du juge algérien en France programmée à son tour au 21 octobre. Selon la presse algérienne, ce dernier aurait obtenu l'autorisation d'auditionner deux membres des services secrets français.

> Sur le volet expertise scientifique : la demande française a été validée par Alger. Dans son voyage, le juge sera accompagné d'une équipe d'experts judiciaires composée notamment de médecins légistes et de spécialistes en imagerie médicale de pointe. Mais la "procédure d'expertise et d'autopsie sera assurée par des experts algériens", en présence du juge français, avait précisé en septembre dernier le ministre algérien de la Justice, Tayeb Louh.

Une question de "souveraineté nationale".  Lundi, Tayeb Louh a réaffirmé que Marc Trévidic allait travailler sous l'autorité d'un juge algérien. "L'exécution de la procédure rogatoire et l'application des procédures seront effectués par le juge algérien en charge de l'affaire", a ainsi indiqué le ministre. Ce dernier a également précisé que les autopsies seraient bien pratiquées par la partie algérienne en présence des juges français. Il s'agit "de souveraineté nationale", a-t-il argué, en assurant qu'il s'agit également des "usages internationaux".

Une navette Alger-Tibéhirine. Autre point de détail : contrairement à la demande du juge français, sa délégation ne pourra résider sur place. En raison des récents événements, le groupe devra effectuer le voyage entre Alger et le monastère chaque jour soit plus d'une heure de route par trajet.

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© Capture d'écran - monastere-tibhirine.org

Pourquoi l'expertise scientifique est-elle fondamentale ?  Le juge Trévidic l'a dit lui-même sur Europe 1 début octobre:  

"On doit aux victimes de chercher les auteurs et la vérité. Je ne connais pas la vérité. Il existe différentes thèses et on a besoin d'éléments techniques et scientifiques. On ne peut pas se fier uniquement aux témoignages"

D'abord, l'expertise ADN va permettre d'identifier les têtes enterrées aux monastères de Tibéhirine afin de s'assurer une bonne fois pour toute qu'il s'agit bien des restes des sept moines français. L'autopsie et les expertises médico-légales sont quant à elles susceptibles d'accréditer ou non l'une ou l'autre thèse. Ainsi, les experts vont chercher d'éventuelles traces de balles et tenter de déterminer si les têtes ont été coupées avant ou après le décès des moines.

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Autant d'informations susceptibles de donner des indications sur les circonstances et les auteurs de ce massacre : le GIA ou l'armée algérienne. Et enfin lever le voile sur le mystère de l'exécution des sept moines de Tibéhirine. Reste à savoir si les autorités algériennes coopéreront pleinement...