Les travailleurs sociaux manifestent : "La tendance est à l'ubérisation"

Travailleurs sociaux, infirmiers et aides-soignants ont manifesté mardi dans toute la France pour dénoncer leurs conditions de travail.
Travailleurs sociaux, infirmiers et aides-soignants ont manifesté mardi dans toute la France pour dénoncer leurs conditions de travail. © AFP
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Clémence Olivier , modifié à
Éducateurs spécialisés, assistants sociaux, conseillers en économie sociale et familiale étaient dans la rue mardi pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail.

Les travailleurs sociaux ont battu le pavé mardi pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Après une mobilisation en septembre dernier, et à quelques semaines de l'élection présidentielle, les éducateurs spécialisés, assistants sociaux, conseillers en économie sociale familiale ou encore aides à domicile ont pris place cette fois aux côtés des infirmiers et des aides soignants dans les cortèges de plusieurs villes de France, comme à Paris, à Rennes ou à Nice.

Quelles sont les raisons de leur colère ? Que réclament-ils ? Michel Chauvière, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialisé dans les évolutions professionnelles du travail social, nous éclaire.

Pourquoi les travailleurs sociaux manifestent-ils à nouveau ?

Comme pour le secteur hospitalier, les budgets dédiés à l'action sociale sont touchés par l'austérité. Les salaires n'ont pas augmenté, des postes ne sont pas créés alors que les besoins sont en augmentation. On le voit par exemple avec les personnes âgées. Elles sont de plus en plus nombreuses, il est nécessaire d'agir, mais pour autant le personnel qualifié n'augmente pas. On demande donc aux travailleurs sociaux de gérer de plus en plus de personnes, dans un temps donné ou alors d'être plus performants, ce qui n'a pas de sens.

Mais les travailleurs sociaux sont aussi excédés par un manque de considération de ces métiers de l'humain, dont l'utilité sociale est pourtant grande. On les croit capables de tout résoudre - ramener des délinquants dans le droit chemin, permettre un meilleur accès aux personnes handicapées - alors que cela relève pour beaucoup de politiques publiques.  

Ils dénoncent également une marchandisation de leur profession…

Oui. Ce qui bouge, c'est aussi le mode de gestion. On oblige de plus en plus les travailleurs sociaux à des résultats quantitatifs. Depuis 2006 et la directive européenne sur les services, il est précisé que les services sociaux sont des services comme les autres sur un marché donné. Sur le terrain, les directeurs d'établissements, les chefs de services passent beaucoup de temps à répondre à des grilles d'évaluation des performances de leurs salariés avec une faible possibilité de commentaires. C'est de plus en plus vrai avec le développement de la numérisation. Il y a une disparition de la pensée qualitative.

La tendance est à l'uberisation du travail social. Ce qui menace et séduit à la fois certains travailleurs du social est de se constituer comme auto-entrepreneur et de facturer leurs services. Par exemple, un éducateur spécialisé auprès de personnes handicapées peut vendre ses services, plutôt que de faire partie d'une institution. Le problème avec cette pratique est que l'on perd l'idée même de prise en charge globale. On considère que les usagers des services sociaux ne sont plus des citoyens/usagers mais des clients. Or, un éducateur en assistance éducative, sur décision de justice, par exemple est en prise directe avec les jeunes et leurs familles, son travail se fait sur la durée et non à la tâche.

La marchandisation se traduit aussi par de nouveaux modes de financement du travail social...

C'est en effet le cas avec le développement du "contrat à impact social". C'est un montage financier qui existe dans les pays anglo-saxons et qui tend à se développer en France. Il prévoit qu'un investisseur privé verse des fonds à une association pour lui permettre de mettre en œuvre un programme défini, avec des obligations de résultats. Si les objectifs sont atteints, les pouvoirs publics remboursent l'investisseur avec en bonus un petit intérêt. Pour les pouvoirs publics, c'est une façon de réaliser des économies puisqu'il n'a pas à investir de manière durable.

Le problème avec ce type de financement est que l'on est loin des subventions qui ont permis au secteur de l'action sociale de se développer. Le principe de solidarité, avec impôts et cotisations est contraire aux investissements avec résultats attendus. Et l'on ne peut pas réduire les métiers de l'humain à des rôles fonctionnels.

 

Les travailleurs sociaux en chiffres

1,5 million. Selon les chiffres présentés dans le plan d'action en faveur du travail social et du développement social de 2015, la France compte 1,5 million de travailleurs sociaux, dont 40 % sont employés par des particuliers, 43 % par des institutions privées et 16% par le secteur public.

Aider les personnes âgées. Ils travaillent pour moitié auprès des personnes âgées, mais s'emploient aussi à aider les personnes handicapées (17%), interviennent sur les questions d'insertion et d'hébergement (7%), et auprès de la petite enfance (8%). Ils sont 15 % à travailler avec la sécurité sociale, les hôpitaux ou dans les collectivités.

Des travailleuses plus que des travailleurs. Ces métiers sont majoritairements féminins. 88 % des travailleurs sociaux sont des femmes. C'est encore plus vrai pour les professions d'assistante maternelle ou d'aide à domicile. Les éducateurs spécialisés sont pour leur part 67 % à être des femmes.