Laïcité : rien à signaler à l'université, vraiment ?

Laïcité
A street artist writes "Laicete" during the inauguration of "Place de La Laicete" © ALAIN JOCARD / AFP
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Un rapport de l'Observatoire de la laïcité dresse un état des lieux du respect de la laïcité à l'université. 

Il n'y a pas de phénomènes massifs d'atteinte à la laïcité à la fac, selon l'Observatoire de la laïcité. Un avis publié mercredi fait le constat d'une "situation globale respectueuse de la laïcité" à l'université. Selon le document, seulement 130 cas de "désaccords ou conflits ponctuels" auraient été remontés, pour un total de 130 universités et établissements, rassemblant environ 2 millions d'étudiants. Mais le rapport ne fait pas l'unanimité au sein de l'instance. A raison ? 

  • CE QUE DIT LE RAPPORT

Quels sont les cas de "conflits" ? Les 130 situations conflictuelles concernent au premier chef la question du calendrier. Certains étudiants demandent en effet une adaptation du calendrier universitaire pour leur permettre d'observer le shabbat ou d'assister à des fêtes religieuses. Le rapport fait état "d'une trentaine de cas" sur deux millions d'étudiants en France. "Un peu moins d'une trentaine de cas" de contestation des enseignements à cause de la religion a également été recensée. Vient ensuite une vingtaine de cas où le port de tenues a été jugé non-adapté, notamment en laboratoire. Ainsi qu'une vingtaine de cas d'utilisation de locaux universitaires à des fins religieuses. Le rapport désigne, également, une dizaine de cas de discriminations constatés. Et enfin, une dizaine de cas de "prosélytisme"(lorsqu'un croyant essaie d'emmener un autre croyant à sa foi) : "quelques-uns sont le fait d’agents publics eux-mêmes, entre eux", précise le rapport.

Le port du voile n'est pas interdit. La plupart des personnes auditionnées rappelle toutefois "le caractère isolé, marginal et sporadique des incidents impliquant la question plus globale du fait religieux au sein de l’enseignement supérieur public". L'observatoire rappelle d'ailleurs que "le principe de laïcité ne fait pas obstacle à ce que des étudiants portent des signes et tenues manifestant leur appartenance religieuse", comme le voile. Seules interdictions : "les comportements prosélytes" et ceux qui "perturbent le bon fonctionnement de l'établissement". Les facs sont en effet dotées d'un statut d'autonomie par rapport aux autres services publics. Le Code de l'éducation consacre la liberté d'expression des usagers de l'enseignement supérieur, sous réserve du respect de l'ordre public. L'observatoire n'estime "ni utile ni opportun de légiférer" sur cette question.

Les recommandations. L'Observatoire de la laïcité conseille aux établissements d'enseignement supérieur de se doter d'un "règlement intérieur rappelant avec fermeté et clarté les règles applicables". Il souhaite aussi que ces structures rédigent une "charte d'établissement" à remettre à "chaque étudiant" et "chaque nouvel enseignant" pour "informer sur les droits et obligations de chacun". En outre, est préconisée l'instauration d'un "référent laïcité dans chaque université", qui devra "dresser un état des lieux objectif de la situation au sein de son établissement" et "participera à la résolution des éventuels conflits".

  • LES CRITIQUES SONT-ELLES JUSTIFIÉES ? 

Un avis qui ne fait pas l'unanimité.  L'avis a été adopté à la quasi-unanimité des membres de l'Observatoire, à l'exception de trois d'entre eux, qui n'ont pas pris part au vote: le député et ancien ministre socialiste Jean Glavany, la sénatrice PRG Françoise Laborde et Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. Ces trois opposants, qui n'ont pas participé à l'enquête, estiment que l'avis rendu mardi "contribue à éluder les problèmes". "Le déni n'est pas la réponse appropriée face à la nouvelle poussée de l'extrême droite qui se nourrit des dégâts occasionnés par les communautarismes, dégâts que ressentent les citoyens sur le terrain avec le sentiment d'être abandonnés", écrivent-ils dans un communiqué. Ils lancent un "appel" au Premier ministre Manuel Valls "afin que s'ouvrent les vrais débats" et que cette instance "propose des réponses à la gravité des questions posées".

Un problème de méthode ? Les opposants à cet avis reprochent à ses auteurs d'avoir opéré une sorte de sélection dans le choix des personnes interrogées. L'Observatoire "a consulté le Président des Universités mais en aucune sorte les professeurs et ceux qui auraient pu témoigner de situations dégradées dans les établissements où ils travaillent", regrettent les auteurs du communiqué. Selon eux, il y a donc un décalage entre les situations qui sont "remontées" et celles qui se déroulent effectivement sur le terrain. Une allégation contre laquelle s'est insurgé le président de l'Observatoire, Jean-Louis Bianco, dans un tweet : "ce communiqué est mensonger. Nous avons interrogé tous les syndicats (de professeurs et d'étudiants, minoritaire comme majoritaire, ndlr)".

Le cas de l'IUT de Saint-Denis. En réalité, le cas qui cristallise le plus les tensions est celui de l'IUT de Saint-Denis. "Notre grande déception est de ne pas avoir pu auditionner (le directeur de cet IUT) Samuel Mayol", s'est expliquée la sénatrice PRG Françoise Laborde sur twitter. Salles de prière illicites, ventes interdites de produits hallal… Samuel Mayol a dénoncé depuis 2012 un certain nombre de situations conflictuelles, dont certaines ont été attestées par un rapport de l'inspection académique en avril dernier. Pour ses prises de positions, Samuel Mayol aurait même déjà reçu des menaces de mort, dont certaines "en arabe", expliquait-il en mai dernier sur RTL.

Mais l'Observatoire a plutôt interrogé la chargée de communication de l'IUT, qui, Jean-Louis Bianco l'assure, "a rapporté les faits décrits par Samuel Mayol". Et si Samuel Mayol n'a pas été directement interrogé, c'est qu'il a été suspendu de ses fonctions par le président de l’université Paris-XIII, qui a même saisi la justice. Samuel Mayol est suspecté d'avoir lui-même introduit des tapis de prière dans une salle de l'IUT, pour pouvoir dénoncer une atteinte à la laïcité. L'intéressé dément catégoriquement, dénonce une "provocation" et une "guerre" mené à son encontre. Son avocat a même déposé une contre plainte pour dénonciation calomnieuse. Mais en l'attente de la fin de la procédure judiciaire il était donc, justifie-t-on du côté de l'Observatoire, "tout à fait impossible d'interroger Samuel Mayol".