La difficile lutte contre le crack dans le métro parisien

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Le froid et la mise en travaux de la ligne 4 semblent avoir poussé les consommateurs de crack à se concentrer autour des quais de la ligne 12. © JACQUES DEMARTHON / AFP
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Certains agents RATP ont lancé vendredi un appel à la grève, pour alerter sur la concentration de fumeurs de crack sur les quais de la ligne 12 du métro parisien.

"Depuis des années, le métro est envahi par des groupes de dealers et leurs clients". Dans un communiqué commun publié la semaine dernière, l’association SOS usagers, qui regroupent des utilisateurs du métro parisien, et le syndicat Unsa RATP alertent sur la présence de plus en plus pesante de consommateurs et vendeurs de drogue sur les quais. Les syndicats CGT et Sud de la RATP ont également lancé un appel à la grève sur la ligne 12 pour ce vendredi, perturbant légèrement le trafic. Ils dénoncent la présence de "toxicomanes souvent agressifs et dangereux", qui après avoir séjourné à divers endroits, notamment sur les quais de la ligne 4, actuellement en travaux, se sont depuis "déplacés en masse, sur la ligne 12 et ses environs". Principalement pointés du doigt : les fumeurs de crack, dite "drogue du pauvre", contre laquelle il est particulièrement difficile de lutter.

Une présence qui n’est pas nouvelle, mais qui change de forme

Ils seraient, en effet, une cinquantaine de fumeurs de crack, majoritairement des SDF selon les autorités et les associations, à arpenter ces dernières semaines les quais de la ligne 12 du nord et du nord-est de Paris. La présence de fumeurs de crack dans les rues de Paris où les quais du métro n’est pas nouvelle. Le crack, drogue bon marché à fumer (principalement avec une pipe) fabriquée à base d’un dérivé de cocaïne et de bicarbonate, voire d’ammoniac, fait des ravages chez les sans-abri de la capitale depuis plus de dix ans. "À partir de 2007, on a assisté à un tournant. Certains trafiquants issus de cités de banlieue ont investi le marché du crack, le produisant en très grande quantité. Un quartier du 19e arrondissement de Paris est devenu une véritable plaque tournante du trafic, ouverte 7 jours sur 7. En 2014, ce lieu de vente a été démantelé et les trafiquants et les usagers se sont retrouvés dans le métro", raconte dans La Croix le docteur Agnès Cadet-Taïrou, médecin de santé publique à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Mais le froid et la mise en travaux de la ligne 4 semblent avoir poussé les consommateurs à se concentrer autour des quais de la ligne 12, d’où le cri d’alerte des syndicats et des usagers. "Le nombre d'agressions sur les voyageurs et sur le personnel RATP est en constante augmentation et prend des proportions de plus en plus dramatiques", déplore par ailleurs le communiqué de SOS usagers et de l’Unsa. Les agressions sont rarement physique (à part entre les consommateurs eux-mêmes), mais souvent verbales.

" Le but est aussi de les amener vers le soin, mais c’est une tâche qui prend du temps et n’est pas simple "

Les agents RATP disent également devoir gérer les malaises, sur les quais où dans les wagons, nécessitant parfois l’arrêt du trafic. Quelquefois, même, les conducteurs décident de ne pas s’arrêter à certaines stations. "Lorsqu'il y a 15 ou 20 toxicomanes sur le quai, il arrive qu'on ne s'arrête pas […] Le collègue précédent nous informe de la situation et on dit aux passagers que la station suivante ne sera pas desservie: ça se fait de plus en plus, notamment en journée", assure un conducteur au Figaro.

Chez les usagers, aussi, le malaise est de plus en plus prégnant. "Lorsque je les vois, je vois la mort. [...] Je trouve la situation anxiogène : ils sont là du matin au soir, assis ou couchés dans la station, en train de fumer ou de préparer leurs produits. Parfois, ils se mettent à hurler sans qu’on sache pourquoi", témoigne Aissa dans Le Parisien, qui avoue toutefois ne pas avoir peur "parce qu’ils sont stone la plupart du temps".

Les actions se multiplient, avec plus ou moins de succès

En réaction, la RATP et les pouvoirs publics multiplient les actions. La préfecture dit en faire "une préoccupation constante". Les patrouilles de la brigade des réseaux franciliens (BFR, un corps de police spécialement créé en 2016 pour lutter contre le trafic de drogue dans les transports en commun) et des 1.000 agents du Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) mobilisés par la RATP aurait permis, de la mi-janvier 2016 à la mi-décembre 2017, "de traiter plus de 400 affaires liées à ce trafic de stupéfiants, avec l’interpellation de 283 vendeurs et 406 consommateurs", indique le quotidien de la capitale.

Le hic : on ne peut pas enfermer ad vitam aeternam les petits dealers, et encore moins les consommateurs. Ces derniers étant la plupart sans-abri, ils finissent toujours par venir ré-arpenter les quais du métro. La préfecture a donc annoncé un "plan stup’ 2018", pour démanteler les réseaux à la base. La RATP, en coopération avec quatre associations spécialisées dans l’aide à la toxicomanie (Aurore, Charonne, Nova Donna et Gaïa), effectue également des maraudes, quatre fois par semaine, pour leur proposer une prise en charge médicale. Une "convention" a également été signée fin 2017 avec la Région Île-de-France pour "permettre une meilleure prise en charge des toxicomanes présents dans les espaces du métro".

Mais les maraudeurs n’ont pas le pouvoir de contraindre les fumeurs de crack à aller se soigner. En outre, lutter contre cette drogue semble particulièrement ardu. "Notre rôle est d’entrer en contact avec les consommateurs et de les sensibiliser au respect des voyageurs et du personnel. Le but est aussi de les amener vers le soin, mais c’est une tâche qui prend du temps et n’est pas simple. Contrairement à l’héroïne, il n’existe pas de produit de substitution pour le crack", explique à La Croix Hélène David, directrice-adjointe de l’association Charonne. La préfecture de police de Paris, la région Ile-de-France, la Régie de la RATP et les syndicats devaient se réunir vendredi pour renforcer leurs moyens d’intervention. En attendant que le "plan stup’ 2018", qui ambitionne de frapper le trafic de crack en plein cœur, porte ses fruits.