Fermeture du centre de déradicalisation : les raisons d'un échec annoncé

Ouvert en septembre 2016, l'établissement "a montré ses limites", selon le ministre de l'Intérieur.
Ouvert en septembre 2016, l'établissement "a montré ses limites", selon le ministre de l'Intérieur. © GUILLAUME SOUVANT / AFP
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T.M. , modifié à
Inefficace et critiqué, l'unique centre de déradicalisation en France, ouvert en septembre 2016, s'apprête à fermer ses portes.

L'expérience a tourné court. Après moins d'un an d'existence, l'unique centre de déradicalisation en France va fermer ses portes, a annoncé vendredi le ministère de l'Intérieur dans un communiqué. Ouvert en septembre 2016, l'établissement situé à Pontourny, en Indre-et-Loire, "a montré ses limites". S'il n'accueillait plus personne depuis février déjà, le projet était dès le départ soumis aux critiques.

Le gouvernement "est allé trop vite". 19 novembre 2015. Alors que la plaie des attentats meurtriers de Paris et Saint-Denis est encore béante, Manuel Valls présente à l'Assemblée le projet de loi qui proroge l'état d'urgence. Le Premier ministre achève son discours sur les moyens de "s'attaquer aux racines en France de ce mal" qu'est la radicalisation djihadiste. Il annonce alors la création d'une "première structure pour jeunes radicalisés" et détaille : "Les premiers admis pourront être des repentis, que nous mettrons à l’épreuve afin de mesurer leur volonté de réinsertion dans la durée." Avec une précision importante : ce centre n’accueillera pas des combattants de retour de Syrie ou Irak, comme préconisé par le député PS Sébastien Pietrasanta dans son rapport. Le projet, expérimental, est alors censé préfigurer une dizaine d'autres centres à horizon fin 2017.

" Une bonne partie des associations en quête de subventions ont collé au sujet sans être formées elles-mêmes "

En septembre 2016, cette toute nouvelle structure ouvre donc ses portes. Selon Esther Benbassa, sénatrice d'Europe Écologie-Les Verts et auteure d'un rapport sénatorial sur le sujet publié le 12 juillet, les pouvoirs publics ont été "pris de panique" après les attentats. "Il fallait faire quelque chose mais comme on est allé trop vite, on est tombé dans le bricolage. Une bonne partie des associations en quête de subventions ont collé au sujet sans être formées elles-mêmes", pointait-elle avec regret en février dernier.

Des critères d'admission trop sélectifs. Car le centre n'a jamais vraiment pu se donner les moyens de ses ambitions, malgré un coût de fonctionnement estimé à 2,4 millions d'euros. D'une capacité de 25 personnes, seuls neuf pensionnaires y ont séjourné au total. Et aucun d'entre eux n'a suivi l'intégralité du programme prévu… Les critères ultra-précis sur lesquels l’État s’est engagé auprès des élus locaux n'avaient certes pas facilité la démarche : des jeunes entre 18 et 30 ans, en "voie de radicalisation", mais ni condamnés, ni fichés "S", ni assignés à résidence. Et surtout volontaires.

Des couacs en séries. Dès les premières semaines, un pensionnaire originaire du nord de la France avait été exclu après la révélation, la veille de son arrivée, de précédentes condamnations pour des "braquages". Un profil bien plus dangereux que ne le garantissaient les autorités, ce qui n'avait pas manqué à l'époque de faire hurler les riverains rassemblés au sein de l'association "Radicalement digne de Pontourny".

Mais c'est en janvier qu'est intervenu le couac de trop. Un autre pensionnaire, Mustafa S., 24 ans, avait été interpellé dans le Bas-Rhin, pendant une permission. Le jeune homme faisait en fait partie de la filière djihadiste de Strasbourg, un groupe de jeunes originaires du département qui avaient tenté de rallier la zone irako-syrienne entre 2013 et 2014. D'après des sources au ministère de l'Intérieur, son placement avait pourtant reçu un "avis favorable" d'une commission locale, mais les services de renseignement s'en étaient "étonnés" après coup.

" Un phénomène complexe, multifacettes, qui attend des réponses nombreuses et pas seulement répressives "

Le tout dernier pensionnaire du centre, lui, est resté deux mois. Entré en décembre, il en a été exclu en février, justement parce qu'il ne correspondait plus aux critères. Et pour cause : ce tout jeune majeur a été condamné pour violences et apologie du terrorisme, à quatre mois de prison avec sursis et des travaux d’intérêt général. Les faits remontaient à 2014, alors qu'il était mineur. Reste que le centre ne pouvait plus le garder. Son passage de quelques semaines avait d'ailleurs eu l’effet inverse de celui recherché. L’encadrement avait noté qu’il vivait le programme comme du prosélytisme anti-islam et qu’il semblait se radicaliser davantage.

Un phénomène complexe. "Malgré la compétence, la détermination et l’investissement des personnels du centre, qui ont démontré leur savoir-faire pour assurer une prise en charge pluridisciplinaire des bénéficiaires, l’expérience ne s’est pas révélée concluante", a souligné vendredi le ministre de l'Intérieur dans un communiqué. Peut-être parce que la radicalisation est un "phénomène complexe, multifacettes, qui attend des réponses nombreuses et pas seulement répressives", comme l'a récemment conclu la mission d'information "désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en Europe", présentée au Sénat en juillet. 

Des alternatives à imaginer. La fermeture de Pontourny ne signifie pas "l'abandon d'une politique de prise en charge des publics en voie de radicalisation dans des structures adaptées", a promis Gérard Collomb. "Le gouvernement étudiera notamment la possibilité d'ouvrir des structures de petite taille pour y accueillir des individus sous main de justice (personnes faisant l'objet d'une mesure restrictive ou privative de liberté par décision de justice, ndlr) et y développer des solutions alternatives à l'incarcération", a-t-il encore écrit, alors qu'un comité interministériel de prévention de la radicalisation est prévu à l'automne.

"La fermeture de ce centre ne doit pas occulter la réalité de la prise en charge en France qui progresse", a déclaré de son côté Muriel Domenach, la secrétaire générale de ce comité, chargée de faire des propositions. Alors que près de 12.000 signalements avaient été faits en octobre par le biais d'un numéro d'appel gratuit et des services de sécurité, quelque "2.600 jeunes et 800 familles sont actuellement pris en charge via le dispositif de prévention présent sur tout le territoire, par des éducateurs de rue, les maisons des adolescents, des psychologues", a-t-elle rappelé. Sans pour autant éluder ce constat implacable : le postulat du volontariat a "très clairement" montré ses limites.