Faut-il supprimer l’écriture d’invention du bac de français ?

Le gouvernement réfléchirait à supprimer l'épreuve d'invention du bac de français, pour la remplacer par une deuxième épreuve de dissertation.
Le gouvernement réfléchirait à supprimer l'épreuve d'invention du bac de français, pour la remplacer par une deuxième épreuve de dissertation. © FRED DUFOUR / AFP
  • Copié
Lors du bac de français, les élèves de première sont amenés à choisir entre le commentaire de texte, la dissertation et l'écriture d'invention. Mais cette dernière épreuve pourrait bientôt disparaître.

"Écrivez l'éloge funèbre de Louis XIV à la manière de Bossuet", "rédigez un poème en prose ou en vers qui évoquera la chambre de Vincent Van Gogh", "racontez à la manière de Simone de Beauvoir un souvenir de votre petite enfance"… Voilà le genre d'énoncé qui pourrait bientôt être jeté aux oubliettes. L'écriture d'invention, l'une des trois épreuves écrites du bac de français - avec la dissertation et le commentaire littéraire – vivrait en effet ses dernières heures.

Mis en place en 2001 sous le ministre socialiste de l'époque Jack Lang, l'exercice ne plairait pas à Jean-Michel Blanquer, qui évoquait en février dernier un "bilan mitigé" à l'Assemblée. Dans le cadre de sa réforme du baccalauréat, le ministre de l'Éducation souhaiterait remplacer l'épreuve par un second sujet de dissertation. Et Souad Ayada, la présidente du Conseil des programmes, chargée lui de rendre une note à ce propos le 13 avril, s'est déjà dit "très attachée à la dissertation". Dans le milieu éducatif, le débat est pourtant loin d'être clos.

Oui : "Il faut concentrer ses efforts sur un nombre réduit d'épreuves"

Par Blanche Lochmann, présidente de la Société des agrégés

"Il y a, selon moi, trois arguments qui plaident en faveur de la dissertation. Le premier, c'est l'efficacité. La dissertation est un exercice commun à plusieurs disciplines. Les professeurs ayant quand même très peu de temps dans l'année, c'est une bonne chose de concentrer ses efforts sur un nombre réduit d'épreuves. Cela permet de s'entraîner beaucoup plus, d'acquérir la méthode plus rapidement, et ensuite de s'intéresser au contenu, qui est quand même la chose la plus importante.

La deuxième chose, c'est une question de modernité, justement, et d'actualité. Aujourd'hui, on voit bien que la participation à la vie démocratique se fait par des tribunes, par des pétitions, par beaucoup d'écrit. Participer à la vie démocratique, c'est savoir débattre, c'est savoir argumenter. Et la dissertation permet de s'entraîner à construire une argumentation, à réfléchir à la qualité  de certains arguments, à se poser soi-même des questions. On regarde les arguments et on en tire une position raisonnable et personnelle.

C'est d'ailleurs le dernier argument que j'aurais. La question de la personnalité ou de l'originalité est souvent posée. Mais la valeur de la dissertation va résider dans les exemples que l'on va utiliser, qui sont forcément personnels. Si ce sont les exemples de tout le monde, cela n'a pas d'intérêt.

Par rapport à l'écriture d'invention, c'est donc une étape supérieure. L'écriture d'invention, c'est aussi ce qu'on peut demander aux petits enfants au collège. Et puis, on ne va de toute façon pas demander à des élèves au bac d'écrire véritablement comme Proust ou Zola. Les exigences sur cet exercice-là sont donc forcément un peu moindres. Dans la progression de l'évolution de la pensée, on est à un stade supérieur avec la dissertation. On n'invente plus un univers fictif mais on réfléchit à la validité ou non de certains arguments. On n'est pas dans l'immédiateté de l'invention. Cela demande beaucoup plus de connaissances, une très bonne maîtrise du français. Bref, c'est un exercice adapté à des jeunes adultes.

Si la dissertation est la moins choisie au bac (15% des élèves optent pour celle-ci, contre 50% pour le commentaire littéraire et 35% pour l'écriture d'invention, ndlr), c'est certainement faute de temps pour la préparer vraiment. En se concentrant et en diminuant le nombre de types d'épreuves possibles, on devrait avoir plus de temps pour bien la préparer."

Non : "Cette épreuve est fondamentale pour l'avenir de la littérature à l'école"

Par Viviane Youx, présidente de l'Association française pour l'enseignement du français (Afef)

"Ce que veut faire le gouvernement est très inquiétant. Nous avons été très surpris que le ministre parle spécifiquement des épreuves de français comme s'il était de sa responsabilité de définir les épreuves dans une discipline. Le problème, c'est qu'actuellement, il y a un mélange entre ce qu'est l'épreuve d'écriture d'invention jusqu'aujourd'hui - elle n'est pas parfaite - et le fait de la supprimer. Cela est trop radical.

À une époque où on essaie de valoriser chez les élèves ce dont ils vont avoir besoin dans leur vie professionnelle, personnelle, associative, à savoir de la créativité, de l'imagination, une utilisation du numérique, des outils contemporains, une écriture qui ne soit pas une écriture figée… On supprime la seule épreuve qui permet de développer tout cela. Or nous croyons que la littérature apporte la créativité et qu'il ne suffit pas de lire des textes mais qu'il faut aussi écrire soi-même. C'est cette créativité-là qui va être complètement brimée dans les classes.

Car nous savons bien que les épreuves au baccalauréat conditionnent l'enseignement préalable. Si au bac, vous avez simplement une épreuve de dissertation, pendant deux ans, l'énergie des enseignants va se concentrer sur la dissertation. Supprimer l'épreuve d'invention signifie que l'on va revenir à l'apprentissage de la littérature le plus formaté, le plus classique, voire chronologique. Certaines associations réactionnaires veulent commencer par le Moyen-âge en seconde pour terminer par les 19ème et 20ème siècles en première. Et on ne parle même pas du 21ème siècle... Or, des travaux faits depuis vingt ou trente ans montrent que pour intéresser les élèves à la lecture, il faut partir d'une littérature qui peut les accrocher et à partir de laquelle on peut établir des points de comparaison avec une littérature patrimoniale qu'il faut bien sûr étudier.

Ce que nous voudrions, c'est que cette épreuve créative soit une épreuve double. À la fois une épreuve dans laquelle l'élève serait amené à écrire, à créer, mais aussi qu'il existe une deuxième partie où il aurait un temps de commentaire sur son propre écrit, pour lui permettre d'analyser ce qu'il a fait, comment il s'y est pris. Nous ne sommes donc pas pour le maintien de l'épreuve telle qu'elle est, nous sommes pour une modification. Cependant, nous tenons beaucoup à cette épreuve. Elle est fondamentale pour l'avenir de la littérature à l'école et pour les compétences des élèves.

Enfin, pour que les professeurs passent plus de temps à enseigner l'écriture créative, il faut qu'ils y soient incités par une formation, pratiquement inexistante à ce jour, et qu'ils y soient incités, en plus, par des épreuves qui leur semblent plus faciles à manier par leurs élèves."