ENQUÊTE - La livraison de drogue à domicile se professionnalise et complique le travail de la police

TELEPHO 2:34
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Pierre de Cossette et Victor Dhollande, édité par Romain David , modifié à
Pour déjouer les enquêtes de la police, certains dealers mettent en place des centrales d'appel avec des services de livraison. 
L'ENQUÊTE DU 8H

Se faire livrer une pizza chez soi, c'est assez classique. Mais désormais, cela se fait aussi de plus en plus pour la drogue : avec quelques grammes d'herbe ou de cocaïne, qui peuvent être amenés directement à domicile, en 30 minutes chrono. Ce nouveau système a le vent en poupe et rend de plus en plus difficile l'appréhension des trafiquants. Europe 1 lève le voile sur ce nouveau type de trafic.

"Ça te donne quand même un confort". Julien, 35 ans, vit dans un quartier branché de Paris. Pour se fournir, ce consommateur d'herbe n'a plus désormais qu'à envoyer un simple SMS à son fournisseur. "Les textos que j'envoie c'est : 'Salut c'est julien, est-ce que tu serais dispo pour X euros à telle heure et tel endroit ?' Et là, en gros, il te répond 'oui' ou 'non'", rapporte-t-il. "Ça te donne quand même un confort, déjà tu n'as pas à te déplacer, et donc tu évites de prendre des risques parce que parfois tu tombes sur des mecs, dans la rue, et tu ne sais pas ce qui peut t'arriver", relève-t-il. Pour lui, ce service est aussi une garantie quand à la qualité du produit livré : "Le deuxième risque, c'est de choper de la merde. Là, c'est peut-être plus cher, je n'en sais rien, mais c'est quand même un service client, et le client avant tout ! C'est assez cool.", fait-il valoir.

Stratégie de vente. Les drogues fournies ont leur nom de code : "Caroline" pour cocaïne, "Marie-Dominique" pour MDMA, avec des promos sur les nouveaux produits : trois grammes achetés, un offert, ou un briquet à la livraison, histoire de fidéliser le client. Bref, des techniques de vente qui intègre une véritable stratégie marketing.

Mais comme le soupçonne Julien, ce type de service coûte plus cher, entre 10 et 20%. Il s'agit aussi de prix la discrétion ; notre consommateur raconte que les livreurs – il ne s'agit pas toujours du même homme - vont jusqu'à lui demander de fermer les rideaux de son appartement le temps de la transaction. L'époque où le dealer lui-même qui faisait sa tournée semble quasiment révolue. Les trafiquants fonctionnent de plus en plus par un système de centrale d'appel, qui sert aussi de pare-feu pour se jouer de la police.

Un principe d’étanchéité. L'homme qui reçoit les commandes par téléphone est un salarié du dealer. Il utilise un autre portable pour joindre son patron et les livreurs. Ce principe permet d'isoler les différents acteurs du trafic, et d'éviter à la police de remonter la filière. "C'est la centrale d'appel qui donne l'adresse, la quantité et le produit qui doit être livré ; la grande idée étant que la personne qui livre n'a absolument aucun contact téléphonique avec son client, et donc il n'y a aucun lien qui permet à la police de faire le parallèle entre l'un et l'autre, sauf s'il y a une interpellation au moment de la livraison", explique à Europe 1 Christophe Descoms, chef de la Brigade des Stups. "Il y a des fichiers clients de plus de mille noms ! On a même vu des fichiers clients qui étaient vendus par des dealers qui allaient en prison et qui revendaient, pour plusieurs milliers d'euros, leur fichier comme on revend une clientèle quand un commerçant habituel part à la retraite".

Une nouvelle manière d'enquêter. Et ce système de centrales d'appel complique vraiment la tâche des enquêteurs, obligés désormais de faire un gros travail sur la téléphonie, dans la mesure où les filatures de scooter sont quasiment impossibles. Le PJ parisienne a démantelé une dizaine d'équipes depuis 2017. Elle peut encore compter sur les consommateurs, des gens souvent très bien insérés, qui ne veulent pas de problème avec la police et balancent assez vite.