Avec la Seine en crue, la galère des péniches

Les péniches commerçantes ont dû fermer, tandis que les péniches habitées sont évacuées.
Les péniches commerçantes ont dû fermer, tandis que les péniches habitées sont évacuées. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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Mathilde Belin , modifié à
Alors que la Seine pourrait atteindre les 6,2 mètres samedi, habitants et commerçants du fleuve parisien ont dû évacuer par mesure de sécurité.

Les amarres bien attachées, ils ont dû regagner la terre ferme. Habitants et commerçants de la Seine à Paris ont été forcés d’évacuer leur bateau alors que le fleuve est en crue. Enregistrées à un niveau de 5,25 mètres mercredi, les eaux de la Seine vont grimper jusqu’à 6,20 mètres d’ici samedi, selon les prévisions de la préfecture. Toutes les embarcations, péniches habitées, bateaux commerciaux et fret, ont interdiction de naviguer sur le fleuve, le débit et le niveau de l’eau étant jugés trop dangereux.

Les péniches de l’hyper-centre évacuées

"La plupart des péniches de l’hyper-centre de Paris ont été évacuées de leurs habitants en début de semaine, quand le niveau a atteint 4,8 mètres", indique la mairie de Paris, contactée par Europe1.fr. Les habitants du fleuve ont été relogés, à l’hôtel ou dans des gymnases, comme les personnes précaires hébergées sur deux péniches caritatives. Les derniers habitants seront évacués dans les prochaines heures.

Les amarrages des péniches désormais inhabitées doivent d’ailleurs être régulièrement surveillés par les marins-pompiers de Paris ou la brigade fluviale de la police. "À ce stade, les plongeurs font des missions de reconnaissance, sur les abords des quais. On est mobilisés à minima", explique à Europe1.fr le capitaine Guillaume Fresse, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Mais les marins-pompiers restent malgré tout sur le qui-vive, alors que le pic de 6,20 mètres est attendu samedi.

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Un couple tente d'accéder à sa péniche, mercredi, au cœur de Paris. ©LUDOVIC MARIN / AFP

"Ici quand l’eau monte, on se démerde"

Plus en aval de la Seine, à Sèvres, près de la capitale, la solidarité s’organise entre les habitants du fleuve, qui eux n’ont pas été évacués. Philippe vit sur une maison flottante et a reçu il y a deux jours d’un ami une passerelle faite de gros bidons pour maintenir l’accès à son habitation, qui fait aussi chambres d’hôtes. "On n'a reçu aucune consigne des autorités. Ici quand l’eau monte, on se démerde", peste-il. "C’est la solidarité qui s’organise. On se serre les coudes entre voisins, on s’entraide dans les situations difficiles."

Pour autant, Philippe, qui a déjà connu une crue, ne s’inquiète pas de la montée du niveau de la Seine. "Depuis 16 ans que je vis ici, on sait comment réagir en cas de crue, on est préparés, organisés, donc je ne suis pas inquiet. On surveille les bulletins d’alerte de Vigicrues… mais c’est un non-événement pour moi." Et Philippe de se réjouir que l’électricité fonctionne encore même si "elle est sous l’eau depuis deux jours".

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La maison de Philippe a été équipée d'une passerelle flottante. ©Philippe Audoin

En revanche, du côté des péniches commerçantes de la Seine, le ton est plus grave. Alexandre Chardonnet, directeur du "Calife", péniche de dîner-croisière amarrée au Pont des Arts à Paris, craint pour la bonne santé économique de sa société. "On est en crue depuis le 2 janvier (à cause de la tempête Eleanor, ndlr), ça fait 22 jours déjà qu’on a dû fermer la péniche. 27 salariés sont au chômage partiel…", s’inquiète Alexandre Chardonnet auprès d’Europe1.fr. Le "Calife" ne peut en effet naviguer qu’avec un niveau de la Seine à 2,60 mètres maximum, quand il est de 4m10 pour d’autres compagnies comme les "Vedettes de Paris".

200.000 euros de perte de chiffre d’affaires

"Un mois de crue, en janvier, ça représente une perte de 200.000 euros de chiffre d’affaires", ajoute-il. "Et on n’est pas du tout assuré ! On est couvert pour une perte de chiffre d’affaires en cas d’avarie, mais il n’y a aucune police d’assurance en cas de montée des eaux", affirme-t-il encore, ajoutant que les 70 autres bateaux commerciaux sur la Seine à Paris (croisiéristes, péniches-hôtels, bars...) sont dans la même situation que lui.

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Le "Calife" est fermé à cause des crues depuis le 2 janvier. ©Alexandre Chardonnet

S’il attend que la Seine retrouve son lit pour reprendre une activité commerciale – d’ici une quinzaine de jours espère-t-il -, Alexandre Chardonnet craint pourtant le moment de la décrue : "C’est le principal danger, il ne faudrait pas que le bateau aille se stabiliser sur le quai. On a qu’un seul bateau, et là on prend le risque de mettre la clé sous la porte…" La crue de la Seine, qui attire chaque année quelque 10 millions de visiteurs, va indéniablement porter un coup financier aux péniches commerçantes. Un constat amèrement résumé par le patron du "Calife" : "La crue c’est une vraie catastrophe naturelle, et ça risque aussi de devenir une vraie catastrophe sociale."

Deuxième crue en un an et demi. 
En juin 2016, le "Calife", comme d'autres péniches commerçantes de la Seine à Paris, avaient déjà souffert de la Seine en crue, qui était alors montée à 6,09 mètres. "On avait dû fermer du 31 mai au 26 juin. En pleine saison comme ça, ça représente une perte de chiffre d'affaires de près de 300.000 euros", compare Alexandre Chardonnet, qui déplore n'avoir eu aucune aide de l'État. "Si ce n'est une aide minime sur le chômage technique, de l'ordre de 5.000 euros."