Autisme : peut-on vraiment instaurer un dépistage précoce ?

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Difficile d'avoir un diagnostic précis de l'autisme avant trois ans. © JEAN-PIERRE MULLER / AFP
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G.S.
C'est l'heure du bilan pour le "troisième plan autisme", lancé en 2013. Parmi les points en question : celle du "repérage".

Le troisième plan autisme, lancé en 2013, porte-t-il ses fruits dans l'amélioration du diagnostic ? Le comité national autisme se réunit jeudi soir pour dresser un bilan de ce plan. Se basant sur un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) réalisé à cette occasion, Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes en situation de handicap, reconnaît qu'il y a encore des "difficultés" en matière de diagnostic. Quelles sont-elles ? Peut-on les surmonter ? Décryptage.

Un diagnostic encore tardif en France. Le troisième plan autisme préconise un "repérage" de l'autisme dès 18 mois chez les nouveau-nés, ainsi qu'une prise en charge "précoce et intensive". Mais à en croire certains spécialistes, le diagnostic se fait plutôt aujourd'hui en France, plutôt lorsque l'enfant a entre quatre et cinq ans. En outre, "il s’écoule en moyenne plus d’un an entre la demande (d'un diagnostic par les parents ou un médecin) et la restitution du bilan", explique dans Le Monde Ségolène Neuville.

Le retard du diagnostic est en partie dû au manque de formation des médecins et des personnes qui travaillent auprès des enfants. Selon l'Igas, les 26 Centres de ressources autisme (CRA), qui ont un rôle clé dans le diagnostic, illustrent parfaitement ce défaut de compétences. L'Igas constate ainsi "l'extrême hétérogénéité des CRA sur le territoire national". "Certains centres sont composés d'experts de l'autisme reconnus" mais d'autres sont "toujours en construction". Le plan lancé en 2013 et devant s'échelonner jusqu'à 2017 prévoit donc 63 millions d'euros pour le "déploiement d’un réseau national de repérage, de diagnostic et d’interventions précoces dès 18 mois".

Un diagnostic précis encore impossible avant trois ans. Mais la difficulté d'un "repérage" précoce est aussi due aux difficultés à appréhender les troubles autistiques en eux-mêmes. Certes, des symptômes peuvent alerter très tôt les parents et les professionnels de santé : un enfant qui fuit les regards, ne réagit pas à son nom, ne sourit jamais ou presque, développe des phobies, des rituels particuliers, résiste aux câlins et s'enfonce dans sa bulle, etc. Mais il est difficile de déterminer précocement s'il s'agit d'autisme ou d'un autre trouble.

Selon Catherine Barthélémy, physiologiste, pédiatre et psychiatre, c'est même impossible d'être 100% précis avant l'âge de trois ans. Pour repérer s'il s'agit bien d'autisme, il faut faire attention  à trois critères : la socialisation ("l’enfant avec autisme semble solitaire dans son monde", dixit la chercheuse), la communication ("il ne parle pas, ou, si son langage existe, il ne s’inscrit pas dans un échange d’informations, un dialogue avec autrui") et l'adaptation ("le moindre changement, les événements imprévisibles peuvent provoquer chez lui angoisse et agressivité. Le répertoire de ses activités est réduit, répétitif. Lorsqu'il est seul ou avec les autres, l’enfant est animé de mouvements stéréotypés"). Or, ces trois critères n'apparaissent pas avec précision et de manière certaine avant l'âge de trois ans, expliquait la chercheuse en 2009, invitée d'une conférence de l'Académie de médecine.

Doit-on vraiment diagnostiquer précocement ? Selon certains spécialistes, un dépistage trop précoce représente même des risques : celui de se tromper et de partir sur un traitement inadéquat. Selon une étude américaine réalisée en 2006, 30 à 40% des enfants diagnostiqués "autistes" autour de deux ans n'étaient en réalité… pas autistes. "Les diagnostics non confirmés étaient d’autant plus nombreux que le diagnostic initial avait été posé jeune", commentent les professeurs Laurent Mottron et Baudouin Forgeot d’Arc, dans une tribune publiée début avril dans le Journal international des médecins. N'y a-t-il donc rien à faire pour améliorer le repérage ? Les deux spécialistes proposent des "évaluations répétées" par des spécialistes, lancées après le signalement d'un "proche ou d'un professionnel". Mais ces évaluations, si elles peuvent se faire dès le plus jeune âge, ne doivent pas donner lieu à des traitements avant d'avoir un "diagnostic stabilisé", au risque d'engendrer des "dépenses faramineuses et inutiles".

Pour d'autres chercheurs, en revanche, la nécessité d'"un diagnostic précoce est indiscutable", selon les termes de Christine Gintz, secrétaire générale du Rassemblement pour une approche des autismes humaniste et plurielle, citée dans une tribune dans Le Figaro. "Il faudrait par exemple prendre en compte certains travaux de PRÉAUT, une association qui a énormément travaillé sur ce sujet. En visionnant des milliers de films familiaux d'enfants devenus autistes, un signe précoce a pu être isolé par ces chercheurs", assure Christine Gintz, sans préciser quel est ce "signe". Elle poursuit, néanmoins : "Ce signe devrait être enseigné à tous les pédiatres et faire partie de l'examen du nouveau-né dès l'âge de 4 mois, puis aux examens de 9 et 18 mois, de manière à alerter dès que possible les spécialistes en cas de doute".

La question du traitement, au centre des préoccupations. Pour trancher la question du diagnostic, Ségolène Neuville réunira "toutes les parties prenantes" en juin. Mais ce qui fait le plus débat, en réalité, c'est la réponse à apporter après un éventuel diagnostic précoce. La Haute autorité de santé, pour sa part, préconise de donner plus de place aux "méthodes éducatives et comportementales". Mais cette approche est loin de faire l'unanimité pour les enfants en bas âge : fermement recommandée aux États-Unis, elle ne l'est pas en Grande-Bretagne par exemple. "Étant donné la variété et la complexité des autismes, le maintien de la pluralité des approches demeure une nécessité", conclut pour sa part Christine Gintz.