Adoption d'"enfants atypiques" par des couples homosexuels : les discriminations sont-elles courantes ?

Pour les familles homoparentales, l'adoption est un véritable parcours du combattant. Photo d'illustration.
Pour les familles homoparentales, l'adoption est un véritable parcours du combattant. Photo d'illustration. © LOIC VENANCE / AFP
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Thibaud Le Meneec , modifié à
Pour la responsable du service adoption de Seine-Maritime, les couples homosexuels doivent accepter d'adopter des "enfants atypiques" car ils ne sont "pas prioritaires".

Des enfants "dont personne ne veut". Voilà, selon Pascale Lemare, la responsable du service adoption au conseil départemental de Seine-Maritime, ce que peuvent espérer les couples homoparentaux, "pas prioritaires", qui désirent adopter dans ce département. Ses propos, publiés par France Bleu lundi, ont créé la polémique : et si les couples de même sexe étaient pénalisés par rapport aux couples hétérosexuels au moment de l'adoption ?

Des pratiques qui varient selon les départements. Pour comprendre le tollé suscité par ces déclarations, il est nécessaire de se pencher sur la procédure d'adoption dans son ensemble. Quand on veut accueillir un enfant, il faut quasi systématiquement déposer une demande d'agrément auprès des services du conseil départemental. C'est ensuite le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE), placé sous l’autorité du président du conseil départemental, qui le délivre (ou non) au terme d'une procédure qui dure près d'un an.

" Là où il y a un petit progrès, c'est que les dossiers sont davantage ouverts, ils sont moins mis de côté "

Mais l'enfant est encore loin d'arriver dans son nouveau foyer : il faut ensuite qu'un "conseil de famille" composé de huit personnes issues de la société civile cerne le profil des parents, et choisisse de leur confier ou non un enfant. C'est à ce stade que les couples homosexuels seraient moins bien lotis que les adoptants hétérosexuels. "On est encore loin de l'égalité", affirme Martine Gross, sociologue au CNRS qui a publié Parent ou homo, faut-il choisir ? : idées reçues sur l'homoparentalité en 2013.

"Là où il y a un petit progrès, c'est que certains conseils de famille acceptent d'ouvrir ces dossiers, tous les conseils de famille ne les mettent pas systématiquement de côté." Car la manière dont les profils sont étudiés varie d'un département à un autre. "Les conseils de famille voient pléthore de dossiers. Certains n'examinent même pas ceux des couples homosexuels, quand d'autres fonctionnent de manière chronologique", explique Martine Gross.

"Seuil d'acceptabilité". Et quand les dossiers sont ouverts, ceux des couples homosexuels sont parfois jugés plus difficilement, selon la sociologue. Une position confirmée auprès de l'AFP par Jean-Marie Müller, président du conseil de famille de Meurthe-et-Moselle : "On n'a rien contre les couples de même sexe, mais tant qu'on aura des couples jeunes, stables, avec un père et une mère, on les privilégie." Jugées choquantes par l'Association des familles homoparentales (ADFH), qui a porté plainte, les déclarations de Pascale Lemare n'en refléteraient pas moins la réalité d'un processus inégalitaire dans bon nombre de territoires.

" L'anonymisation des dossiers serait compliquée à mettre en oeuvre, car les enquêtes vont assez loin dans l'intimité des possibles adoptants "

Accueillir un "enfant à particularité" (plus grand, avec des handicaps…) semble donc être une solution pour les couples homosexuels qui choisissent la voie de l'adoption. "Conscients de leur situation inhabituelle, certains couples sont prêts à déplacer leur 'seuil d'acceptabilité' dans l'espoir de se voir confier un enfant", confirme Martine Gross, sur la base des témoignages recueillis lors de ses travaux. "Les personnes seules avaient beaucoup de mal à adopter un enfant, on leur a confié des enfants à particularité. Ce qui est paradoxal, c'est que les conseils de famille peuvent leur confier des enfants à particularité, susceptibles d'être plus difficiles à élever. Comme s'ils considéraient que les couples homosexuels seraient de meilleurs parents."

Baisse chronique du nombre d'enfants adoptés. Pour remédier à ces inégalités, Alexandre Urwicz, le président et co-fondateur de l'Association des familles homoparentales (ADFH), évoque d'anonymiser le type de couple qui demande l'adoption. "L'anonymisation des dossiers serait compliquée à mettre en oeuvre, car les enquêtes vont assez loin dans l'intimité des possibles adoptants", prévient la sociologue au CNRS. "L'objectif est d'avoir suffisamment de données sur l'environnement de l'enfant. De plus, l'anonymisation revient à un retour en arrière à l'époque où il fallait cacher son homosexualité et son couple pour avoir une chance d'obtenir l'agrément."

Pas sûr, pour autant, que ces pistes ne permettent d'améliorer significativement la situation des couples homoparentaux, tout simplement car le nombre d'enfants étrangers adoptés par des Français chute d'année en année : 685 enfants en 2017, contre environ 5.000 en 2005. "En France, il y a très peu d'enfants adoptables alors qu'il y a entre 20.000 et 30.000 agréments", estime Martine Gross. De quoi transformer le chemin vers l'adoption en parcours du combattant, d'autant plus compliqué pour un couple homoparental.