Accueil des migrants et réfugiés : où en est la mobilisation des particuliers ?

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Après avoir connu un élan en 2015, l’accueil de réfugiés par les particuliers semble avoir trouvé un rythme de croisière. Mais les associations espèrent plus de l’Etat.

"Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des hommes et des femmes dans les rues, dans les bois", avait martelé l'été dernier Emmanuel Macron, lors d’un discours consacré à l’immigration. Lundi, à l’occasion de la Journée mondiale des migrants, de nombreuses voix s’élèvent pour presser le président de la République de tenir sa promesse. Mais en attendant le plan de l’exécutif consacré à la crise migratoire, attendu pour janvier, certains particuliers s’organisent depuis plusieurs années pour offrir un toit et un accompagnement aux réfugiés. S’il reste encore marginal et confronté à un manque de moyens, ce type de service a trouvé son rythme de croisière.

"La situation migratoire est tendue. On doit apporter le maximum de possibilités. Chez nous, beaucoup de personnes ont, un jour, eu besoin d’être accueillies. C’est une manière pour nous de tendre la main", témoigne ainsi Luis Ramirez, qui anime l’accueil par des particuliers au sein du Centre Kerfleau, une association du Morbihan (infos et contacts par ici). Autour de lui, une douzaine de familles se sont portées volontaires pour accueillir des réfugiés quelques mois. Dans une maison secondaire, une chambre, un garage aménagé… Les familles offrent le gîte, parfois le couvert. Et les trois salariés et dix bénévoles de l’association s’organisent pour les accompagner, faire tomber la barrière de la langue, surmonter les différences culturelles et mettre en relation ces femmes et ces hommes avec des réseaux d’insertion sociale.

"On a de plus en plus de jeunes familles"

Comme le Centre Kerfleau, qui s’est converti à l’accompagnement des particuliers l’an dernier, une quinzaine d’associations, la plupart en région, aident les familles volontaires à accueillir des migrants. Un nombre qui a plus que triplé depuis 2015, aidé l’an dernier par un coup de pouce financier du gouvernement. Certaines prennent en charge les réfugiés ayant déjà un titre de séjour, d'autres donnent un coup de main à quelques-uns des 85.000 demandeurs d'asile enregistrés chaque année sur le territoire français. 

Mais où en est la mobilisation des Français ? Marquée par l’explosion des flux migratoires et par des drames particulièrement médiatisés, à l’instar de la photo du petit Aylan, l’année 2015 avait coïncidé avec un fort élan de solidarité des particuliers désireux d’accueillir les migrants. Depuis, le nombre de familles volontaires semble se stabiliser. Chez Welcome JRS, la première association à avoir mis en relation des migrants et des particuliers (service lancé en 2009), on a comptabilisé un pic de 7.000 sollicitations de particuliers entre l'été 2015 et l'été 2016. Aujourd’hui, environ 1.800 familles proposent encore leur aide, dans 39 villes de l’Hexagone, soit tout de même 500 de plus que début 2017. Si elle encourage encore vivement de nouvelles familles à se mobiliser, l’association se réjouit aussi déjà d’une diversification des profils.

"On a environ 30% de familles de retraités, qui constituent une sorte de noyau dur. Mais ce qui a évolué par rapport aux débuts, c’est que l’on a de plus en plus de jeunes familles, (environ 30% également), qui nous disent qu’elles ont envie de transmettre de belles valeurs à leurs enfants", détaille Antoine Pomard, directeur de JRS France. "Il y a également des colocs, des communautés religieuses. Celle-ci sont très importantes car elles peuvent accueillir tout au long de l’année, ce qui est précieux en ces périodes de vacances", poursuit-il.

"Nous n’avons pas suffisamment de moyens pour répondre à cette demande"

L’association Singa, qui propose une application mettant en relation les particuliers avec les réfugiés, a pour sa part été confrontée à une baisse d’activité. En cette fin d’année 2017, une centaine de familles accueillent actuellement un réfugié. Un chiffre trois fois moins élevé que l’an dernier. Mais qui s’explique, en partie, par la multiplication des associations et par des limites budgétaires et logistiques.

"Nous avons 5.000 familles qui se sont portées volontaires en région. Nous n’avons malheureusement pas suffisamment de moyens pour répondre à cette demande. Il faut offrir une médiation culturelle, linguistique, sociale de qualité", précise Alice Barbe, directrice de Singa France. "Et puis les réfugiés n’ont pas toujours envie d’aller loin en région. Ils ont connu l’exil, ils commencent à se réhabituer à un environnement, à une préfecture… On peut comprendre qu’ils n’aient pas envie d’aller à l’autre bout de la France. Aujourd’hui, nous appelons les familles d’Île-de-France à se mobiliser. C’est là où nous avons le plus de besoins et où nous pouvons assurer un accompagnement qui convient", complète-t-elle.

"On ne peut pas faire ça n’importe comment"

Pour encourager les associations et les familles, l’Etat a débloqué des fonds l’an dernier, pour une période de deux ans (2017-2018). Pour chaque réfugié accueilli, l’Etat verse 1.500 euros à la famille. Mais pour la plupart des associations, le compte n’y est pas. "Dans le contrat que l’on a passé avec le ministère du Logement, nos familles devaient accueillir 50 réfugiés. Mais nous n’avons eu des fonds que pour en accueillir 25, et encore que depuis septembre dernier", regrette Luis Ramirez, du Centre Kerfleau. Même analyse du côté de Singa : les fonds sont insuffisants pour combler la demande des familles en province. Quant à Welcome JRS, ils n’ont tout simplement pas répondu à l’appel à projet du gouvernement. "Pour recevoir l’aide, ils nous demandaient d’encadrer 1.000 nouvelles familles. Or, ils ne nous donnaient le budget que pour la moitié. On ne peut pas faire ça n’importe comment", déplore Antoine Pomard.

Aujourd’hui, les associations demandent au gouvernement de tenir sa promesse (formulée cet été par le Premier ministre Edouard Philippe) de créer un délégué interministériel pour la question migratoire. Certains tentent de multiplier les initiatives, pour donner envie aux familles et migrants de se rencontrer. Singa, par exemple, expérimente des "vacances au calme", lors desquelles les réfugiés font un séjour en région le temps d’un week-end ou d’une semaine. Aujourd’hui, selon Harris Interactive, 12% des Français se disent prêts à accueillir un migrant chez eux. Une proportion que les associations espèrent bien voir augmenter.

"C’est la découverte de personnes très attachantes, qui ont vécu des situations difficiles"

Différences de cultures, de langues, parfois même de caractères… Les associations font toutes le même constat : tout ne se passe pas toujours très bien entre les familles et les réfugiés. "C'est très engageant. Certains abandonnent car c'est trop difficile pour leur intimité, d'autres abandonnent car ils ne s'adaptent pas à l'hygiène de vie des personnes. Il y a parfois un décalage entre les attentes et la personne qui arrive", raconte-t-on par exemple du côté de l’association Rail, soulignant la nécessité d’être bien accompagné par une association.

Dans la très grande majorité des cas, toutefois, l'expérience semble concluante. Enrichissante même. "Wassim est arrivé et a balayé nos inquiétudes d’un large sourire. Cela a été cinq semaines de partage, de rigolades, d’émotions qui nous ont brassés. Et une rencontre très joyeuse aussi entre les enfants et Wassim", témoigne par écrit une famille de Seine-Saint-Denis, prise en charge par JRS France.

"Nous avons accueilli Mounir d’Afghanistan, qui n’a quasiment pas fait d’études mais est malin et débrouillard, puis Adil de Syrie qui a fait des études de journalisme. Ce que nous ressentons fortement est cette envie d’intégration qu’ils ont, cette volonté d’apprendre le français le plus vite possible et d’y mettre leur énergie, cette envie de communication aussi", poursuit une autre famille, originaire de Carrières-sur-Seine, dans les Yvelines. Et de poursuivre : "Pour nous et nos grands jeunes, c’est la découverte d’un monde que nous ne connaissions qu’au travers des infos et journaux. C’est la découverte de personnes très attachantes, qui ont vécu des situations difficiles, souvent inhumaines, et qui malgré tout restent positives".

Du côté des associations, tout est fait pour s'assurer que les personnes accueillies et accueillantes soient "compatibles". Chaque demandeur d'asile (pour Rail et Welcome JRS) et chaque réfugié (pour Singa et les autres) est d'abord reçu par des bénévoles. Il est longuement informé sur le profil de la famille qui va l'accueillir. Un long travail d'information et de formation est également fait auprès des accueillants. Tous s'engagent à respecter une liste drastique de choses à faire et à ne pas faire. Sinon, l'association met fin à la procédure.