Najat Vallaud-Belkacem et la théorie du genre : cette interview par laquelle tout a commencé

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Depuis plusieurs jours, la ministre de l'Education est l’objet d’attaques violentes de la droite. En cause, une interview datant de 2011.

C’est un fait établi depuis plusieurs années : Najat Vallaud-Belkacem est l’une des cibles favorites de la droite. Alors quand le pape allume la mèche sur la théorie du genre, prétendument présente dans les manuels scolaires français, il n’en faut pas plus pour que le feu des critiques renaisse de ses cendres. Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Christian Estrosi, Hervé Mariton, François Fillon… Tous, et d’autres encore, ont tancé l’"outrecuidance" de la ministre de l’Education, qui a osé répondre sèchement au souverain pontife. L’occasion était trop belle. D’autant plus sur ce sujet sensible, puisque régulièrement, la ministre est accusée de promouvoir cette théorie qui, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, n’explique les différences entre les sexes que par l’environnement socio-culturel, et non par la biologie.

L’interview qui fâche

Najat Vallaud-Belkacem regrette peut-être aujourd'hui cette interview du 31 août 2011, accordée à 20minutes. A l’époque, 80 parlementaires de droite UMP ont écrit à Luc Chatel, alors ministre de l’Education, pour qu’il retire un manuel scolaire dont un chapitre est titré "Devenir homme, devenir femme". Et c’est entant que  secrétaire nationale du PS aux questions de société  qu’elle prend la parole. "La théorie du genre, qui explique ‘l'identité sexuelle’ des individus autant par le contexte socio-culturel que par la biologie, a pour vertu d'aborder la question des inadmissibles inégalités persistantes entre les hommes et les femmes ou encore de l'homosexualité, et de faire œuvre de pédagogie sur ces sujets", affirme-t-elle. L’interview passe alors inaperçue et le retour de bâton viendra plus tard. Car le fait est que Najat Vallaud-Belkacem emploie donc bel et bien l’expression "théorie du genre".

"Najat Vallaud-Belkacem évoquait à l’époque les ‘gender studies’, des études très sérieuses qui analysait l’inégalité entre les hommes et les femmes par les rapports sociaux", explique l’entourage de la ministre à europe1.fr. "Aujourd’hui, l’expression ‘théorie du genre’ a été totalement dévoyée par la droite et l’extrême droit pour devenir synonyme de non-différenciation entre les sexes. C’est n’importe quoi !"

"La théorie du genre n’existe pas"

Depuis donc, dès qu’elle évoque cette polémique, Najat Vallaud-Belkacem répète son nouveau credo : "la théorie du genre n’existe pas". Comprendre : pas au sens où elle l’a employée à l’époque. Le 6 juin 2013, alors qu’elle est ministre du Droit des Femmes mais aussi porte-parole du gouvernement, elle est interpellée lors d’un porte-parolat numérique sur le sujet par un internaute. "Votre question aurait un sens si nous nous apprêtions à introduire une théorie du genre à l’école ou ailleurs. Mais la théorie du genre, ça n’existe pas. Ça n’existe pas. En tout cas, je ne l’ai jamais rencontrée", lance-t-elle.  Ce nouveau credo, Najat Vallaud-Belkacem le répète à plusieurs reprises, comme en septembre 2014 sur France 2.


Vallaud-Belkacem : "La 'théorie du genre', cela n'existe pas"

C’est toujours sa ligne aujourd’hui. "Il n’y a pas de théorie du genre", confirme son entourage. "Régulièrement, la droite aime ressortir ces thèmes qui font peur, avec une forte dimension polémique. Et comme par hasard, à des moments où on cherche à mobiliser un certain électorat", grince un proche de la ministre, en référence à la primaire de la droite, programmée pour fin novembre.

Des "ABCD de l’égalité" aux "Outils de l’égalité" fille-garçon

Si Najat Vallaud-Belkacem a été dans le viseur de la droite sur la théorie du genre, c’est aussi parce qu’elle a promu l’expérimentation, à la rentrée 2013, des ABCD de l’égalité, censé lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre. Mais rapidement, ce programme a été accusé de vouloir diffuser la théorie du genre, toujours elle. A l’initiative notamment de Farida Belghoul, proche du polémiste d’extrême droite Alain Soral, et des militants de la Manif pour Tous, une campagne de dénigrement de l’expérience est lancée. De nombreux parents décident même de retirer, ponctuellement, leur enfant de l’école pour protester. L’expérience des ABCD de l’égalité est finalement abandonnée en juin 2014.

Deux mois plus tard, le 26 août 2014, Najat Vallaud-Belkacem est nommée ministre de l’Education. A nouveau, la polémique sur la théorie du genre resurgit. A nouveau, elle monte au créneau pour se défendre. Mais elle ne lâche pas sa volonté de promouvoir l’égalité garçon-fille à l’école, et met à disposition des enseignants, des outils en ligne via le Réseau Canopé, un site d’accompagnement pédagogique à l’adresse des enseignants. Ces "Outils pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école" sont toujours disponibles. "Et vous pouvez être sûrs qu’ils sont irréprochables, sinon cela fait un moment que la ‘fachosphère’ s’en serait emparé", se félicite-t-on du côté du ministère de l’Education. Najat Vallaud-Belkacem, elle, a décidé de ne pas réagir à cette énième polémique, pour ne pas l’alimenter, explique-t-on dans son entourage.

 

Une polémique née sous la droite

La théorie du genre, on en parle en fait depuis août 2011. A l’approche de la rentrée, 80 parlementaires de l’UMP (devenue Les Républicains) écrivent une lettre ouverte à Luc Chatel, alors ministre de l’Education nationale, pour réclamer le retrait de manuels scolaires qui expliquent que l’identité sexuelle est définie autant par le contexte socio-culturel que par le sexe biologique. Ces manuels répondaient en fait aux attentes d’une circulaire du même ministère de l’Education datée du 30 septembre 2010 et invitant à aborder la question "Devenir femme ou homme" "Ce sera l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée", écrit le ministère.

A l’époque, cette circulaire n’avait soulevé aucun tollé. Plusieurs mois plus tard, au printemps 2011, des états généraux de l’UMP avaient également abordé cette question, sans passion aucune. Il s’agissait alors de formuler des propositions pour le futur candidat Nicolas Sarkozy, alors à l’Elysée. Une convention sur la place des femmes dans la société proposait ainsi d’"amener les enfants à se sentir autorisés à adopter des conduites non stéréotypées". "Il faut aider les filles et les garçons à percevoir positivement leur genre et celui du sexe opposé", pouvait-on lire sur le site. Soit, comme le relevait Le Monde en février 2014, rien de plus que ce que proposera plus tard les ABCD de l’égalité chers à Najat Vallaud-Belkacem.