Les éléments embarrassants de l’affaire Ferrand

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© CHARLY TRIBALLEAU / AFP
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De nouvelles révélations publiées mardi fragilisent un peu plus le ministre de la Cohésion des territoires, empêtré depuis plusieurs jours dans une affaire de conflit d’intérêts. 

L’étau se resserre autour de Richard Ferrand. Depuis les révélations du Canard Enchaîné, le 24 mai dernier, sur une opération immobilière dont a profité la compagne de l’actuel ministre de la Cohésion des territoires quand celui-ci était président des Mutuelles de Bretagne, en 2011, la pression est de plus en plus forte autour de ce proche d’Emmanuel Macron, alors que le nouveau président de la République a fait de la moralisation de la vie politique la priorité de son quinquennat. Mardi, Mediapart et Le Monde ajoutent une couche de plus sur les épaules du ministre, dont la position se fragilise de jour en jour, voire d’heure en heure. Car si aucune illégalité manifeste n’a été repérée, les détails embarrassants s’accumulent.

  • Un potentiel conflit d’intérêts à l’Assemblée nationale ?

Si Richard Ferrand a bien quitté la présidence des Mutuelles de Bretagne lors de son élection à la députation en 2012, il est resté en lien avec l’organisme qu’il dirigeait depuis 1998. Il y a d’ailleurs conservé, selon Le Monde, un poste de chargé de mission rémunéré 1.250 euros par mois, et ce pendant toute la durée de son mandat, de 2012 à 2017.  "J’ai toujours tenu à conserver une activité professionnelle, quels qu’aient été mes mandats (…), cela me paraît totalement bénéfique par opposition à celles et ceux qui ne vivent que de la politique", explique Richard Ferrand au quotidien du soir.

Intention louable a priori, mais qui débouche sur un potentiel conflit d’intérêts. Car dès l’automne 2012, Richard Ferrand a déposé, avec d’autres députés, une proposition de loi permettant aux mutualistes de proposer des cotisations moindres à ses adhérents, et d’ainsi mieux les fidéliser. Consigne de groupe pour tenir une promesse du candidat Hollande, argue Richard Ferrand. "Devais-je m’abstenir de défendre un principe au prétexte que je connais bien le sujet ?", s’interroge le ministre.

N’empêche, la double casquette député-chargé de mission fait tiquer. "Richard Ferrand m’avait dit qu’il avait travaillé pour les Mutuelles de Bretagne, mais pour moi c’était du passé", explique au Monde Catherine Lemorton, présidente PS de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. "Si j’avais su qu’il était encore chargé de mission (aux Mutuelles de Bretagne, ndlr), la question, je l’aurais posée clairement. Il était en lien d’intérêts", juge la députée de Haute-Garonne.

  • Echanges de bons procédés ?

Quand Richard Ferrand, élu député, a quitté la présidence des Mutuelles de Bretagne en 2012, c’est son ancienne adjointe, Joëlle Salaün, qui, sur sa proposition, a été élue par le conseil d’administration pour lui succéder. La nouvelle directrice générale a alors accordé à son prédécesseur ce poste de chargé de mission qui pose problème aujourd’hui. Mais ce n’est pas tout. A son arrivée au Palais Bourbon, Richard Ferrand a embauché, parmi d’autres, un certain Hervé Clabon comme assistant parlementaire, révèle Le Monde. Or, l’homme n’est autre que le compagnon de Joëlle Salaün.

Hervé Clabon confirme d’ailleurs l’information du quotidien du soir, précisant avoir quitté son poste "courant 2014 ou 2015". Pourtant, il n’apparaît pas dans la déclaration d’intérêts transmise en janvier 2014 à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. "J’ai fait ma déclaration [auprès de la HATVP] le 25 janvier 2014. A cette date, Hervé Clabon ne travaillait pas avec moi dans le cadre d’un contrat de travail, même s’il était très présent", se défend Richard Ferrand.  

  • Une famille (ou ex-famille) omniprésente

Dans la famille Ferrand, il y a d’abord la compagne Sandrine Doucen. C’est elle qui a profité, via sa SCI, du montage immobilier concerné. C’est pourtant bien Richard Ferrand lui-même qui a initié le montage, en réservant, via un compromis de vente précisant qu’il laisserait la place à une SCI, un local commercial menacé de vente aux enchères après les déboires financiers de son propriétaire. Avec, selon Mediapart, une clause conditionnant l’achat du bien à l’obtention par les Mutuelles de Bretagne d’un bail par la future SCI propriétaire. Une clause qui facilitait grandement la demande de crédit auprès des banques. Ce n’est qu’ensuite que Sandrine Doucen a créé une SCI, qui a effectivement acheté - pour un prix modique - le fameux bien, ensuite loué aux Mutuelles de Bretagne.

Pacsés ou pas pacsés ? Pour sa défense, Richard Ferrand argue qu’il n’a aucun lien patrimonial avec sa compagne. "Je ne suis ni marié, ni pacsé avec Sandrine Doucen. Avec ma compagne, nous ne vivons pas sous le régime matrimonial. Nous n'avons pas de patrimoine commun. On peut se séparer demain, chacun gardera ses biens", assurait le ministre lundi dans Le Parisien. Sauf que si cette déclaration était vraie en 2011, au moment où l’affaire a été conclue, elle n’est plus vraie aujourd’hui. Richard Ferrand et Sandrine Doucen sont en effet pacsés depuis janvier 2014, comme le montre un document révélé par Mediapart. Le cabinet du ministre précise au site d’informations que Richard Ferrand voulait en fait dire qu’il n’était pas pacsé en 2011. Et qu’un Pacs n’entraîne pas automatiquement de partage de patrimoine.

La fille de 13 ans achète une part de la SCI. Dans la famille Ferrand, il y a aussi la fille. Une adolescente de 13 ans qui a racheté, représentée par ses parents, en février 2017, la seule part de la SCI qui n’était pas la propriété de Sandrine Doucen. En effet, pour créer une SCI, il faut au moins deux personnes. En 2011, la compagne de Richard Ferrand avait donc fait appel à un ami du couple pour qu’il acquière une part - et une seule - de la SCI nouvellement créée. Désormais, la totalité de la société civile immobilière est dans le giron familial.

Un ex-épouse très présente. Enfin, dans la famille Ferrand, il y a aussi l’ex-épouse. Françoise Coustal, artiste-peintre, a bénéficié de plusieurs contrats avec les Mutuelles de Bretagne à partir de 2002 et jusqu’en 2013. C’est elle qui a ainsi été choisie pour aménager les fameux locaux acquis par la SCI de Sandrine Doucen, selon Mediapart.  Elle a également été chargée d’aménager en 2009 et 2010 une partie d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ouvert par les Mutuelles de Bretagne. Or, la construction et l’aménagement de cet Ehpad a été permis notamment grâce à une subvention du conseil général du Finistère, dont Richard Ferrand était l’un des vice-présidents.

Interrogée par Mediapart, Françoise Coustal se défend : "Ce serait un comble que vous évoquiez des relations avec mon ex-mari qui n’existent plus depuis longtemps, du fait d’anciens conflits personnels. Je ne saurais vous dire si le fait que nous ayons été mariés a joué (dans l’obtention des marchés, ndlr), je veux croire que c'est plutôt (…) mes compétences et la qualité de mes réalisations qui ont été déterminantes." 

 

Richard Ferrand se défend

Dans un communiqué de presse publié sur Twitter, Richard Ferrand répond point par point aux "amalgames" et aux "soupçons implicites" écrits selon lui dans l'article du Monde. Il commence d'abord par justifier le poste de chargé de mission des Mutuelles de Bretagne qu'il a occupé de 2012 à 2017 : "C'est précisément en raison de la bonne gestion (...) que l'Assemblée générale a décidé (...) de me confier une mission (...) pour que je puisse apporter mon expertise et ma connaissance de cette entreprise", conserver une activité professionnelle en parallèle d'un mandat politique étant selon lui une pratique courante et bénéfique chez les parlementaires.

Sur le possible conflit d'intérêts entre ce poste aux Mutuelles de Bretagne et son mandat, Richard Ferrand estime que sa position était au contraire un atout pour évoquer la question des mutuelles : "Devrais-je m'abstenir de défendre un principe pertinent et dans le sens de l'intérêt général au prétexte que je connais bien le sujet ?", interroge-t-il en évoquant les autres cas similaires au Palais-Bourbon.

A-t-il volontairement omis de préciser qu'Hervé Clabon était son assistant parlementaire du 3 septembre 2012 au 25 janvier 2014 ? "La déclaration d'intérêt date du 25 janvier 2014, date à laquelle Monsieur Clabon ne travaillait plus avec moi." Il réfute également tout intervention auprès des Mutuelles de Bretagne pour que son ex-épouse, Françoise Coustal, aient pu bénéficier de marchés de manière privilégiée.