Jeanne d'Arc est-elle de droite ou de gauche ?

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Margaux Baralon , modifié à
La pucelle d'Orléans est récupérée politiquement depuis des dizaines d'années. Et pas seulement par l'extrême droite.

Depuis plusieurs années déjà, elle est associée au Front national, qui lui rend hommage avec application tous les 1er mai depuis 1988. Pourtant, Jeanne d'Arc n'est toujours récupérée par la seule l'extrême droite. Comme en témoigne l'initiative d'Emmanuel Macron, qui se rendra dimanche à Orléans pour participer à la 587e édition des fêtes commémorant la libération de la ville par la pucelle, la gauche aussi tente de se réapproprier cette figure historique.

Républicaine…et royaliste. Brûlée vive en 1431, Jeanne d'Arc est véritablement devenue une héroïne sous la plume de l'historien Jules Michelet, qui lui a dédié en 1841 un chapitre de son Histoire de France. "Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d'une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu'elle a donné pour nous", écrit Jules Michelet. Pour l'historien, la pucelle d'Orléans, fille du peuple, rebelle, est un symbole républicain. Cela n'empêche pas les royalistes de s'en emparer aussi. L'écrivain Charles Maurras estime ainsi que "l'essentiel esprit de la mission de Jeanne d'Arc est que le salut national s'opère par l'œuvre du Roi". Aujourd'hui encore, les royalistes de l'Action Française la célèbrent chaque année, au mois de mai.

Jeanne d'Arc récupérée par la droite. Si la droite s'empresse de récupérer la figure de Jeanne d'Arc à la fin du 19e siècle, c'est que la pucelle d'Orléans est alors vue comme une incarnation du nationalisme. Des parallèles sont dressés entre les ennemis de l'époque et ceux du 15e siècle. Comme Jeanne d'Arc a bouté les Anglais hors de France, les nationalistes veulent se débarrasser des étrangers et des Juifs. L'Église catholique s'intéresse également de nouveau à celle qu'un tribunal ecclésiastique a condamnée quelques siècles plus tôt, et la canonise en 1920. Enfin, sous le régime de Vichy, dans les années 1940, Jeanne d'Arc est aussi récupérée par le pouvoir en place, qui en profite pour exalter son anglophobie.

" Après 1945, Jeanne d'Arc entre dans le patrimoine revendiqué par les communistes. "

La gauche en ordre dispersée. À gauche de l'échiquier politique, la récupération est plus discrète et moins unanime. Le fait que Jeanne d'Arc soit brandie en étendard par les catholiques refroidit les anticléricaux. Le journal de gauche L'Action appelle, en 1904, à abandonner le culte d'une "pucelle militariste et bondieusarde". En revanche, des socialistes continuent de lui rendre hommage, notamment l'écrivain Charles Péguy, qui lui consacre une pièce de théâtre, ou Jean Jaurès, qui l'élève en figure patriotique dans ses discours. Pendant l'Occupation, les Résistants s'emparent du symbole de la pucelle d'Orléans. Aragon, Résistant communiste, la cite dans ses poèmes.

Des communistes au Front national. Après la guerre, le Parti communiste de Maurice Thorez s'intéresse de près à la "paysanne de France abandonnée par son roi et brûlée par l'Église". "Jeanne d'Arc entre dans le patrimoine revendiqué par les communistes", explique ainsi l'historienne Christine Levisse-Touzé dans Les femmes dans la Résistance en France. "Pour que cette réappropriation s'opère, les intellectuels communistes ont dû se livrer à un travail de réinterprétation de la légende de Jeanne d'Arc, afin de la rendre compatible avec les valeurs du PCF." Exit la dimension religieuse de celle qui aurait entendu la voix divine, seul le sauvetage de la France compte. Ce n'est qu'après la mort de Maurice Thorez, en 1964, que le Front national s'empare de la pucelle d'Orléans, d'une manière qui rappelle celle de la droite nationaliste du début du siècle, l'art de la communication en plus. Jeanne d'Arc devient identitaire, protestataire et populiste. "Elle nous rappelle qu'aujourd'hui comme hier, alors que les classes dirigeantes ont renoncé à assurer l'avenir de la nation, c'est de notre peuple que doivent venir les forces de renouveau", écrit le député lepéniste Bruno Mégret en 1987.

Jeanne "appartient à tous les Français". Au sein des autres partis, la récupération est moins audible, mais elle est bien là. En 1982, le président socialiste François Mitterrand se rend à Orléans pour les fêtes de Jeanne d'Arc, affirmant quelques années plus tard que celle-ci "ne s'est jamais laissé aller à la haine de l'étranger".

Jacques Chirac, également à Orléans en 1996, ne dit pas autre chose. "Comment ne pas voir combien Jeanne est étrangère à toute idée de mépris et de haine ?" demande le président de droite, insistant sur le fait que la pucelle d'Orléans "appartient à tous les Français".

Lorsqu'il était à l'Élysée, Nicolas Sarkozy a, lui aussi, tenté de ne pas laisser Jeanne d'Arc au Front national. En janvier 2012, le chef de l'État était allé jusqu'à Domrémy célébrer la mémoire de la jeune fille, pour le 600e anniversaire de sa naissance. À gauche, c'est Ségolène Royal qui se compare à Jeanne d'Arc pendant sa campagne de 2007, avant de lui consacrer un chapitre de son livre, Cette belle idée du courage, en 2013.

La gauche peu audible. En dépit de toutes ces tentatives, la pucelle d'Orléans semble toujours être l'exclusivité de l'extrême droite. En 2012, le secrétaire national du Parti de gauche, Alexis Corbière, appelait d'ailleurs la gauche à hausser le ton. "Au risque de surprendre, je dis que la gauche ne peut se désintéresser totalement de ce sujet", écrivait-il alors sur son blog. "La lecture historique du personnage de Jeanne d'Arc ne peut être seulement un étroit dialogue à distance entre la droite antisociale [de Nicolas Sarkozy] et l'extrême droite." Ce dimanche, Emmanuel Macron tentera, à son tour, de sortir la figure mythique de la pucelle d'Orléans du giron frontiste.

Tour à tour de gauche et de droite, catholique ou anticléricale, patriote et nationaliste, parfois même féministe, Jeanne d'Arc a donc été récupérée à toutes les sauces. Il suffit, pour cela, de ne retenir qu'une partie de son histoire. "Elle a toujours été baladée de gauche à droite", résume l'historien Olivier Bouzy, directeur adjoint du Centre Jeanne d'Arc d'Orléans, à Marianne. "C'est une figure suffisamment souple pour être utilisée par tous."