Et à 16h29, Manuel Valls annonça le 49-3

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Louis Hausalter (avec Alexandre Kara) , modifié à
FOLLE JOURNÉE - Le gouvernement est contraint de passer en force sur la loi Macron. Retour sur l'engrenage qui a conduit à cette extrémité.

Et pourtant, Emmanuel Macron y croyait. La preuve : à 10h21 mardi matin, les services du ministre de l'Economie envoyaient aux journalistes un communiqué de presse au titre triomphant : "le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques adopté par l'Assemblée nationale". Rétrospectivement, la boulette ressemble fort à un acte manqué. Six heures plus tard, le vote solennel prévu dans l'Hémicycle est suspendu. Manuel Valls vient d'annoncer le recours à l'article 49-3, c'est-à-dire un passage en force autorisé par la Constitution. Le texte sera adopté sans vote, sauf si la majorité des députés approuvent la motion de censure déposée par l'UMP, une hypothèse hautement improbable.

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"Ça va être très serré". Comment en est-on arrivé là ? Pour l'exécutif comme pour les chefs de file des députés socialistes, ce mardi 17 février aura été synonyme de sueurs froides à répétition. Les frayeurs ont en réalité commencé dès lundi soir. Bercy fait alors savoir qu'il n'existe "aucune certitude" que la loi Macron soit adoptée le lendemain. Mardi matin, c'est le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui confie ses doutes à Europe 1 : "ça va être très serré…" Même si on n'en est pas encore à la dramatisation. "Franchement, dans les premières réunions de ce matin, il n'était pas du tout question de 49-3", confie un député PS.

Pourtant, à Bercy et à Matignon, l'inquiétude monte aussi. On compte et on recompte les voix dans tous les sens. En fin de matinée, les groupes politiques à l'Assemblée annoncent leurs décisions les unes après les autres. Et les couperets tombent. Les communistes et le Front de gauche ? Contre. Les écologistes ? Très majoritairement contre. A l'UMP, seule une poignée de députés sont prêts à voter le texte. La seule bonne nouvelle vient de l'UDI : une courte majorité de ses membres compte s'abstenir ou voter pour.

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"Valls était très énervé". Mais en réalité, l'inconnue vient surtout du PS lui-même, dont la trentaine de "frondeurs" menacent de faire vaciller le texte. Et pas seulement eux. "On a vu arriver une vingtaine de collègues, pas catalogués frondeurs. Certains ont dit qu'ils voteraient contre, d'autres qu'ils s'abstiendraient", a expliqué sur Europe 1 le député Pascal Cherki. Ce qui explique une réunion des députés socialistes particulièrement houleuse.

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"C'était un show très bien organisé et assez insupportable", témoigne le député frondeur Philippe Noguès. Bruno Le Roux, le président du groupe PS, prend longuement la parole. Puis Manuel Valls appelle les frondeurs à la "responsabilité". "Au moment où je parle, le texte ne passe pas", insiste le Premier ministre. "Valls était très énervé", rapporte un autre député. Ce qui ne s'avère pas forcément productif. "Ce n'est pas en me gueulant dessus que l'on réussit à me convaincre", grince cet élu.

Un conseil des ministres en vingt minutes. Midi sonne, et le compte n'y est pas. "C'est à ce moment que les rumeurs de 49-3 ont commencé à circuler", relate un député. L'Elysée avait préparé le terrain dès la fin de matinée, en décidant de convoquer un conseil des ministres extraordinaire, passage obligé pour engager le 49-3. François Hollande revient tout juste d'Alsace, où il s'est rendu au cimetière juif profané la semaine dernière.

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Le conseil des ministres est expédié en vingt minutes. Direction l'Assemblée nationale, où une séance de questions au gouvernement agitée attend Manuel Valls et ses ministres. Le locataire de Matignon refuse de confirmer qu'il aura recours au 49-3. Mais "le gouvernement fera tout pour que cette loi passe", avertit-il. De son côté, Emmanuel Macron, questionné à plusieurs reprises, fustige au micro "une forme d'union" de "ceux qui ne veulent pas changer le pays".

Ultimes tentatives. Entre deux questions, le ministre de l'Economie ne lâche pas son portable. Tout comme son collègue Jean-Marie Le Guen, en charge des Relations avec le Parlement. Les ultimes tentatives de persuasion ont lieu par texto. Puis en face-à-face, entre deux portes, à la fin de la séance. Mais Manuel Valls a déjà pris sa décision. Comme il le dira aux députés quelques minutes plus tard, à 16h29 précisément, le Premier ministre ne veut prendre "aucun risque". Il appelle François Hollande, qui lui donne le feu vert pour engager la responsabilité du gouvernement. Le 49-3 fait son grand retour au Parlement, neuf ans après Dominique de Villepin et le CPE.

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