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Sébastien Krebs avec Caroline Philippe et Shanel Petit, édité par VDM , modifié à
Avec l’approche de la fin du quinquennat, les conseillers cherchent une porte de sortie personnelle. 
L'ENQUÊTE DU 8H

L’opération "recasage" a démarré dans les cabinets ministériels. Fin de mandat oblige, les conseillers du gouvernement au pouvoir cherchent un point de chute. La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, est par exemple en train de faire tanguer l'Institut Gustave Roussy (le premier centre européen de lutte contre le cancer) en tentant d'y imposer l'un des membres de son cabinet. Une nouvelle arrivée qui sera carrément à l'ordre du jour mercredi d'un conseil d'administration extraordinaire de l’Institut. Mais au-delà de ce cas précis, est-ce une pratique généralisée ?

Une habitude, de gauche comme de droite. Ce "recasage" est un grand classique, quelle que soit la majorité au pouvoir. Pour mieux s’en rendre compte, nous nous sommes plongés dans les nominations qui paraissent au Journal Officiel et dans les comptes-rendus des Conseils des ministres de ces dernières semaines. Depuis cet été, ça n’arrête pas. Voici deux exemples bien frappants.

Le 12 octobre, la chef de cabinet de François Hollande à l'Elysée, Isabelle Sima, est propulsée préfète du Cantal. Une très belle récompense pour une femme qui n’est même pas énarque. Mais elle a eu le mérite d’être extrêmement fidèle au président, aussi bien en Corrèze, qu'à Solférino, puis à l'Elysée. Au même moment, son chef de cabinet adjoint, Christophe Pierrel, obtient un beau point de chute, à la Caisse des dépôts de Chambéry. Un point de chute d’autant plus pratique qu’il aimerait bien se faire élire dans la région. Pour ce trentenaire, simplement diplômé en Histoire et communication politique, le poste est vraiment prestigieux. Depuis, il a déjà quitté le poste pour rejoindre… la campagne de Vincent Peillon.

Les conseillers qui optent pour le départ précipité. En fait, ces mouvements dans les cabinets ministériels durent depuis des mois. Nombreux sont les conseillers qui ont anticipé leur reconversion et n'ont pas attendu la fin de mandat. Cet été, une cinquantaine de conseillers, dont une dizaine de directeurs de cabinet, a quitté le gouvernement.

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Comment les conseillers se recasent-ils ? Mais comment ça marche ? Ces nominations sont-elles totalement discrétionnaires ? Pour beaucoup, oui. Il y a ceux qui étaient déjà fonctionnaires et qui, de toute façon, auraient retrouvé un poste, mais qui obtiennent une belle promotion dans une administration. Par exemple, l'ancienne conseillère justice de Manuel Valls a été nommée à la tête de l’Institut national des hautes études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ). Le directeur de cabinet de François Hollande, lui, a été envoyé en Nouvelle-Calédonie à un très beau poste pour finir sa carrière. Et à Matignon, un conseiller économique de 36 ans seulement a été bombardé à la direction de l'Agence Française de développement.

"Ils ne sont pas là par hasard". C’est bel et bien un accélérateur de carrière incontestable mais qui est réservé uniquement à des éléments "brillants" et "méritants", assure cet ancien directeur de cabinet, Michel Betan, qui a œuvré pour la majorité précédente. "Il faut bien vous dire une chose, ils ne sont pas là par hasard", explique-t-il. "En général, ils cochent toutes les cases pour occuper ce type de poste. On grandit très vite en cabinet. On y travaille beaucoup, on fait des choses un peu plus compliquées que la moyenne et on connaît la machine gouvernementale. Donc, les 2, 3 ou 4 ans qu’on passe en cabinet, ça vaut double".

Entendu sur europe1 :
Il y a des tas de nominations qui ne vont pas forcément dans l’intérêt du service public.

 

Des nominations parfois fictives. Mais qu’en est-il pour ceux qui ne sont pas fonctionnaires ? Souvent, les conseillers politiques, issus des rangs des militants, n’ont pas de filet de sécurité. Pour eux, c'est le "recasage" ou le chômage. Certains parviennent à se faire nommer préfet, parfois même… sans affectation, sans poste, bref un préfet sans préfecture. C’est simplement pour se voir garantir une retraite. Cette pratique a été pointée par la Cour des comptes mais elle existe toujours. Trois proches de Manuel Valls en auraient bénéficié.

Aucun contrôle sur ces nominations ? Pour mieux encadrer ces nominations, existe-t-il quelques garde-fous ? Dans quelques cas, mais très rares, les syndicats déposent des recours contre ces nominations. Et ils ont déjà obtenu des annulations. Mais ils demandent surtout que ce système soit plus encadré. "Il y en a tout le temps", déplore un secrétaire fédéral FO fonctionnaires. "Ces nominations sont visibles quand il y a des gros changements politiques. Mais il y a des tas de nominations qui ne vont pas forcément dans l’intérêt du service public mais dans un petit groupe d’individus".

A l’heure actuelle, le seul contrôle qui existe est exercé sur les conseillers qui partent vers le privé. Une commission de déontologie vérifie qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts.  

 

Mise à jour : Le conseil d'administration de l'Institut Gustave Roussy a émis mercredi un avis défavorable à la nomination de Frédéric Varnier. Cet avis n'est que consultatif. Unicancer, la fédération qui regroupe en France les 18 centres de lutte contre le cancer, va également se prononcer lors d'un conseil d'administration sur cette nomination via un avis qui sera lui aussi consultatif.