CGT vs gouvernement : de l’alliance tacite à la guerre ouverte

Philippe Martinez face à Manuel Vallls : la guerre est déclarée.
Philippe Martinez face à Manuel Vallls : la guerre est déclarée. © THOMAS SAMSON / AFP
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Le syndicat et l’exécutif s’affrontent actuellement avec une rare violence pour des divergences de fond, mais aussi pour des raisons stratégiques.

Qu’il semble loin, le bel optimisme de mai 2012. A l’époque, François Hollande vient tout juste d’être élu à la présidence de la République. Et la CGT n’y est pas pour rien, elle qui n’a pas hésité à faire fi de la théorique neutralité syndicale en appelant à battre Nicolas Sarkozy, donc à voter pour le candidat socialiste. "Un contexte, a priori plus favorable à la satisfaction des revendications, est créé", se réjouit alors publiquement Bernard Thibault, secrétaire général, pour quelques semaines encore, du syndicat. Quatre ans plus tard pourtant, c’est la guerre, et le conflit, cristallisé sur la loi Travail et la crise des carburants, est d’une rare violence. Comment en est-on arrivé là ?

  • Dans le coin droit, le gouvernement

Un glissement vers le social-libéralisme. Elu, notamment, sur ce positionnement d'ennemi de la finance, selon l’expression désormais fameuse lancée lors du meeting au Bourget, François Hollande a pris au cours de son quinquennat un net virage vers le social-libéralisme, qui n’a pas plu aux syndicats les plus à gauche, dont la CGT fait indubitablement partie. CICE, loi Macron, Pacte de compétitivité… Autant d’annonces en faveur des entreprises qui ont fâché la CGT au fil des mois. Et l’accession le 31 mars 2014 à Matignon de Manuel Valls, et dans sa foulée la nomination d’un gouvernement à tendance plus libérale que le précédent, n’a rien arrangé.

Dans ce contexte, la loi Travail a fait office de goutte d’eau. Et qu’importe qu’elle ait été édulcorée. Le syndicat réclame encore et toujours son retrait définitif et n’entend pas désarmer. La décision de s’attaquer aux raffineries et aux dépôts de carburant en est la preuve.

Un réformisme revendiqué. Manuel Valls le revendique est l’assume : il est un réformiste qui n’entend pas céder à la rue. Le Premier ministre n’a donc pas de mots assez durs enversla CGT. "Un conflit frontal, c’est vieux, c’est ancien, c’est conservateur. Prendre ainsi en otage les consommateurs, notre économie, notre industrie, continuer des actions, ce n’est pas démocratique", a-t-il lancé mardi matin sur Europe 1. "Il n’y aura pas de retrait du texte. Sinon, dans ce pays, on ne peut plus réformer."

Et le Premier ministre, qui a choisi une posture d’autorité pour tenter d’endiguer l’inexorable chute de sa popularité, de s’en prendre encore une fois au syndicat : "J’en appelle encore une fois à la responsabilité de chacun. Ces actions ne servent à rien. Elles perturbent le pays et font peser sur les forces de l’ordre une mission nouvelle, une charge qui est insupportable. La CGT est dans une impasse, et l’impasse n’est jamais le bon chemin. Le seul chemin possible, c’est celui de la responsabilité", a martelé le Premier ministre. Pas franchement un appel à la trêve ou au dialogue.

  • Dans le coin gauche, la CGT

Une crise inédite. Le problème, c’est qu’en face se trouve une organisation en crise, qui se doit de reconquérir le terrain après quatre années très difficiles. La première fissure est apparue dès mai 2012, quand Bernard Thibaut n’est pas parvenu à faire élire Nadine Prigent, qu’il avait désignée pour lui succéder. Mais le séisme de l’affaire Lepaon a été d’une toute autre ampleur. Le secrétaire général de l'organisation a été poussé à la démission en janvier 2015 après des révélations sur des travaux somptuaires menés dans son appartement de fonction de Vincennes. Dés lors, l'image de la CGT durablement écornée dans l’opinion. La tâche de Philippe Martinez, son successeur, s’annonçait alors colossale. Et la stratégie choisie a été une radicalisation du syndicat. 

Une radicalisation. Cette stratégie a été confirmée en avril 2016 lors du 51e Congrès de la CGT. La loi Travail est alors au cœur du débat, et elle offre au syndicat l’occasion idéale de rebondir en durcissant nettement le ton, d’autant que l’affaire Lepaon a profité à la CFDT, l’éternel rival. Dès lors, le syndicat, avec à sa tête Philippe Martinez, se jette à corps perdu dans la bataille. Avec notamment des affiches très controversées dénonçant les violences policières.  

"Le Premier ministre joue un jeu dangereux en essayant de diviser la CGT, d'opposer la CGT aux citoyens et d'opposer la CGT aux salariés", a rétorqué mardi le secrétaire général de l’organisation sur BFMTV. Le gouvernement "ne nous écoute pas", "il y a eu refus de débattre à l'Assemblée nationale et après on nous accuse de je ne sais quoi", a-t-il pesté. Le syndicat a déjà annoncé une nouvelle journée d’action pour jeudi, et a appelé à une grève illimitée à la RATP, où elle est majoritaire. La guerre est donc bel et bien déclarée. Le gouvernement parie sur l'essoufflement d'un syndicat qui n'aurait plus les moyens de ses ambitions. Et la CGT compte bien lui prouver le contraire.