Présidentielle au Brésil : le candidat de l'extrême droite Jair Bolsonaro est-il certain de l’emporter ?

bolsonaro haddad
Le candidat de l'extrême droite Jair Bolsonaro est le favori du second tour de l'élection présidentielle au Brésil face à celui du Parti des travailleurs Fernando Haddad. © NELSON ALMEIDA, Mauro Pimentel / AFP
  • Copié
, modifié à
Selon Christophe Ventura, chercheur à l’Iris, la présidentielle au Brésil n’est pas jouée, malgré l’avance énorme du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro (46,03%) à l'issue du premier tour.
INTERVIEW

L’extrême droite est aux portes du pouvoir au Brésil. Mais aux portes seulement. Car si son candidat Jair Bolsonaro est arrivé largement en tête du premier tour dimanche soir, avec 46,03% des voix, il n’a pas franchi la barre fatidique des 50%. Face à cet adepte des dérapages verbaux, anti-avortement, anti-mariage gay et pro-armes, le candidat du Parti des travailleurs Fernando Haddad conserve une chance de l’emporter. Ce sera compliqué, selon Christophe Ventura, chercheur à l’Iris spécialiste de l’Amérique latine, mais pas impossible. A condition qu’il parvienne à agréger les électeurs attachés à la démocratie au Brésil et ceux du centre droit, alors que la droite traditionnelle a explosé.

Jair Bolsonaro a frôlé la victoire dès le premier tour. Peut-on dire que l'élection présidentielle est déjà jouée ? 
Bolsonaro semble clairement sur le chemin de la victoire, mais il faut rester prudent. On est  dans une élection placée depuis le début sous le signe de l’incertitude. Le score final est donc impossible à prévoir. Il reste trois semaines de campagne, Fernando Haddad a déjà reçu l’appui d’autres candidats éliminés. Une chose est sûre, tout cela devrait se terminer dans un mouchoir de poche. Et quoi qu’il se passe, le vainqueur de l’élection devra gouverner dans une situation de crise, avec un pays extrêmement polarisé.

Qu’est-ce qui sera la clé de ce second tour ?
La grande question, c’est de savoir ce que va faire la droite traditionnelle. Le phénomène Bolsonaro, c’est d’abord l’explosion de cette droite, celle qui soutient le président sortant, Michel Temer. A eux deux, ses candidats (Geraldo Alckmin pour le PSDB, Joao Amoedo pour le Partido Novo, ndlr) ont recueilli à peine 7% des voix. Jair Bolsonaro a totalement aspiré son électorat. Dès lors, que vont faire les leaders de cette droite ? Appeler à voter Bolsonaro ? Soutenir Fernando Haddad, ce qui paraît très improbable ? Ou laisser leurs électeurs choisir ? C’est vraiment l’une des clés importantes de l’entre-deux-tours.

On sait Jair Bolsonaro capable de commettre certains dérapages verbaux. Est-il susceptible de provoquer sa propre défaite en allant trop loin lors d’un discours ou d'une intervention télévisée ?
Il va continuer de déraper, sans aucun doute. Mais jusqu’à présent, ses dérapages lui ont plutôt rapporté. Et il ne faut pas oublier que ce sont des dérapages très contrôlés. Il manie un discours du ressentiment, de la peur, qui s’adresse aux classes moyennes brésiliennes, et qui est en fait un discours très contrôlé.

En fait, Jair Bolsonaro s’est placé à la convergence de plusieurs conservatismes. Social d’abord, avec des propos très anti-pauvres, anti-assistés. Sociétal ensuite, avec un discours destiné aux religieux et plus particulièrement aux évangélistes, qui représentent potentiellement un tiers des électeurs. C’est pourquoi il insiste sur la famille et s’en prend aux droits des minorités sexuelles.

Et il y a un dernier conservatisme, qu’on a tendance à oublier en France, parce qu’on met plutôt la loupe sur les deux premiers, c’est un conservatisme économique très fort. Bolsonaro s’est placé dans la continuité de l’accélération de l’agenda de l’austérité et du libéralisme économique. Et ça, ça a tendance à plaire aux milieux financiers. Ces trois conservatismes donnent un projet que j’appelle libéral-autoritaire.

Que peut faire Fernando Haddad pour remonter la pente et finalement l’emporter ?
La première chose, c’est réussir à rallier à lui les candidats qui représentent le camp démocratique. Il y est en partie parvenu, puisque le troisième homme de cette élection, Ciro Gomes (PDT, 12,47%), lui a apporté son soutien, tout comme l’écologiste Marina Silva (REDE, 1%) et le candidat d’extrême gauche Guilherme Boulos (PSOL, 0,58%). Maintenant, il faut qu’il parvienne à convaincre au moins les électeurs de centre droit. Pour cela, il devra faire campagne sur deux sujets : l’ancrage démocratique du Brésil et l’agenda économique. Aujourd’hui, tout indique qu’il est sur le point de perdre. Mais cette élection est tellement instable…