Migrants en Méditerranée : qui sont les passeurs ?

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avec Martin Feneau
Sans scrupules, les trafiquants empochent des centaines de milliers d'euros sur le dos de réfugiés qui tentent la traversée de la Méditerranée. 

François Hollande les a qualifiés de terroristes lors de son intervention dimanche dans l'émission Le Supplément, sur Canal+. Les passeurs de migrants sont tenus responsables de la mort de centaines de personnes qui tentent la traversée de la Méditerranée dans l'espoir de jours meilleurs en Europe. Ce week-end encore, une embarcation a fait naufrage avec plus de 700 personnes à son bord. Europe 1 tente de mettre un visage sur ces trafiquants d'êtres humains qui organisent ces voyages vers la mort.

D'amateurs à professionnels. Les passeurs d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier. Il y a quelques années, des pêcheurs pouvaient prêter ou louer leur embarcation aux migrants qui voulaient rejoindre les côtes européennes à partir de la Libye, la Turquie ou encore la Tunisie. Pour François Gémenne, enseignant-chercheur spécialiste des migrations, ces "passeurs 'amateurs', se souciaient du bien-être des migrants et de leur bonne arrivée à destination".

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Mais la fermeture des frontières européennes et la déstabilisation des rivages méditerranéens ont poussé vers une "professionnalisation" du trafic d'êtres humains. Pour fuir les chaos libyen et syrien, des milliers de personnes sont désormais prêtes à risquer leur vie sur des embarcations de fortune. Autant de clients potentiels pour des passeurs. "Voir des milliers de personnes fuyant désormais la Syrie chaque mois permet aux passeurs de prévoir un flux fiable de clients, leur permettant ainsi d’établir un tarif de référence", a expliqué Joel Millman, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations à Genève. "Ainsi, ils peuvent prévoir les bénéfices qu’ils feront pour chaque voyage et déployer rapidement des bateaux et des équipages."

Deux survivants palestiniens d'une traversée ont raconté que leur périple avait débuté plein d’espoir dans ce qu’ils appellent une "agence de voyage" à Gaza, qui a organisé leur voyage vers l’Italie via l'Egypte. Quatre bus les attendaient pour les transporter au port de Damietta près d’Alexandrie avant qu'ils soient embarqués à bord de bateaux de fortune.

Les mafias derrière les traversées. Les réseaux internationaux de criminalité organisée ont ainsi pris le relais de ce juteux business. Le trafic d'êtres humains est le troisième trafic mondial, derrière le trafic de drogues et d'armes. "Aujourd'hui, ils sont sans foi ni loi", juge François Gémenne. Les exemples de cruauté sont innombrables : viols, abandons au milieu de la mer, morts jetés par-dessus bord, traversées dans des conditions inhumaines, …

Pour éviter d'être appréhendés à l'arrivée, les passeurs usent de diverses méthodes. Ils peuvent, au choix, abandonner le cargo en pleine mer ou bien se mêler aux clandestins avant de disparaître dans la nature. On se souvient notamment du cas du cargo Blue Sky M, qui flottait entre la Grèce et l'Italie. Les passeurs auraient quitté le navire après avoir enclenché le pilote automatique. Mais certains témoins auraient raconté aux enquêteurs italiens avoir vu le skipper enclencher le pilotage automatique sans pour autant quitter le bateau : il serait resté à bord, feignant de faire partie des migrants, rapporte l'OIM. Cette personne avait été interrogée par la police italienne.

Des migrants-passeurs. Pour autant, les spécialistes des migrations soulignent que tous les passeurs ne sont pas mafieux. "Il n'y a pas de profil-type", insiste François Gémenne, qui précise que cela "varie selon les moments et les lieux". Un trafiquant tunisien n'a ainsi ni la même vie, ni la même histoire, ni les mêmes motivations qu'un Turc ou un Libyen. "On a tous les cas de figure", continue le chercheur, qui énumère : "Des gens qui ont fait ça par intérêt économique personnel, parfois pour aider des personnes à trouver un refuge". Plus étonnant, certains trafiquants sont eux-mêmes migrants :"Les passeurs peuvent confier la conduite des bateaux à des réfugiés qui connaissaient un peu la navigation et se retrouvent à la barre." Certains se font embaucher en espérant un jour réunir les quelques milliers d'euros nécessaires pour payer une traversée qui leur sera peut-être fatale.

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