La libération imminente du "violeur au taxi noir" révolte l'Angleterre

L'homme était chauffeur d'un "black cab" londonien (photo d'illustration).
L'homme était chauffeur d'un "black cab" londonien (photo d'illustration). © AFP
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M.L
Condamné en 2009 pour avoir drogué 19 femmes et agressé ou violé six  d'entre elles, John Worboys devrait être libéré dans les prochaines semaines. Des dizaines d'autres anciennes clientes l'accusent.

 

"Malgré l'ampleur du tollé, le monstre est sur le point de sortir de prison". À l'image du tabloïd The Sun, les médias britanniques ne mâchent pas leurs mots pour qualifier John Worboys, 60 ans, plus connu outre-Manche sous le surnom de "violeur au taxi noir". Condamné selon un régime spécifiquement conçu pour les délinquants sexuels en 2009, l'homme a vu sa demande de libération conditionnelle acceptée jeudi, après un peu plus de neuf ans de détention. Il est soupçonné d'avoir agressé plusieurs centaines de ses clientes, usant d'un rituel savamment orchestré.

Des médicaments dans le champagne. Entre 2002 et 2007, John Worboys arpente les rues de Londres au volant de l'un de ses célèbres "black cabs" (taxis noirs). L'ancien strip-teaser et réalisateur de films pornographiques travaille surtout la nuit et choisit ses passagers, quasi-exclusivement des femmes rentrant de soirée. Auprès de chacune d'entre elles, le chauffeur engage la conversation sur un ton réjoui, prétendant avoir gagné au loto. Pour fêter l’événement, il débouche une petite bouteille de champagne et sert deux coupes.

"Il a dû m'entendre dire que j'avais perdu mon téléphone", se souvient une victime présumée, interrogée par le Daily Mail. "Mon amie lui a suggéré de me déposer en premier, il a refusé. Mais par rapport à l'itinéraire, ça se tenait. C'était un chauffeur de taxi, je l'ai cru." Dans le champagne, John Worboys glisse un mélange de médicaments dont du Temazepam, prescrit par son médecin pour ses troubles du sommeil. Confuses mais conscientes, certaines de ses passagères parviennent à s'échapper. Mais la majorité d'entre elles ne se réveille que le lendemain, avec des souvenirs flous.

Les policiers "ont ri". Beaucoup se taisent, mais certaines parlent, rapporte le Guardian. En 2003, l'une d'entre elles est même conduite au commissariat par John Worboys, sous la pression d'un passant intrigué par son attitude. La jugeant saoule et peu crédible, les policiers la renvoient chez elle sans prendre le nom ni la plaque de son chauffeur. Quatre ans plus tard, une autre victime présumée se réveille chez elle avec des "flashbacks" dans lesquels elle se voit avaler des pilules. Elle a le sentiment d'avoir été violée. Mais les fonctionnaires refusent également de prendre sa plainte, trop vague.

"Ils ont ri lorsque je leur ai décrit mes blessures. Ils ont dit que j'avais dû boire et tomber", racontera cette seconde plaignante. "Et c'était censé être une unité spécialisée dans les agressions sexuelles et viols… S'ils avaient pris mes déclarations au sérieux, s'ils avaient fouillé la voiture ou sa maison, ils auraient trouvé des preuves. Mais ils ne l'ont pas fait, et d'autres femmes ont continué à subir le même sort."

102 plaintes en 2008. Le "violeur au taxi noir" est finalement arrêté une première fois en juillet 2007, relâché faute de preuve puis à nouveau interpellé six mois plus tard. Selon le Daily Mail, 102 femmes ont alors raconté le même mode opératoire à la police. Seules 14 plaintes sont retenues, les autres n'étant pas étayées par suffisamment de preuves aux yeux des enquêteurs. Un an plus tard, John Worboys est reconnu coupable d'avoir drogué douze femmes, agressé sexuellement cinq et violé l'une d'entre elles, entre juillet 2007 et février 2008. "Vous avez élaboré un système assez rodé pour piéger de jeunes femmes intelligentes, dont la seule erreur est d'être montées dans votre taxi tard le soir", assène le juge au quinquagénaire, qui nie l'ensemble des faits.

En avril 2009, John Worboys est condamné selon le système de l"'imprisonment for public protection" (IPP). Créé en 2003 pour les auteurs de crimes sexuels perçus susceptibles de récidiver, ce mécanisme instaure une peine "minimale", explique le Guardian. À l'issue de celle-ci, le détenu est autorisé à demander à la commission de la liberté conditionnelle d'examiner son dossier, afin de juger s'il est toujours dangereux. Tant que celle-ci considère que c'est le cas, l'emprisonnement peut-être prolongé. Le violeur est donc condamné à la prison à vie, avec un "minimum" de neuf ans.

Le nom de l'ex-strip-teaser fait le tour de l'Angleterre et la police reçoit 85 autres plaintes, sans engager de poursuites. Selon le Daily Mail, certaines s'entendent répondre qu'il ne servirait à rien de le juger une seconde fois, puisqu'il n'est pas prévu qu'il sorte de prison.

"Un mois par victime violée". Petit à petit, le Royaume-Uni oublie. Jusqu'à jeudi dernier, lorsque le nom de John Worboys revient brutalement sur le devant de la scène. Se basant sur les rapports des experts psychiatres et des gardiens de prison, la commission de la liberté provisoire accepte de le laisser sortir sous contrôle judiciaire. Du jamais vu dans un dossier de ce type. Plusieurs observateurs du monde judiciaire y voient une conséquence de l'abrogation du système même de l'IPP, décidée en 2012 et qui laisse les juges dans une "situation de flou".

Dans les médias, militantes féministes et connaisseurs du dossiers dénoncent depuis un "scandale". "Il a purgé neuf ans et neuf mois, c'est légèrement plus qu'un mois par victime violée", estime Karen Ingala Smith, présidente de l'organisation Nia, qui vient en aide aux femmes victimes de violences. "Comment peut-on penser que la justice a été rendue ?". Richard Scorer, conseil de plusieurs femmes agressées et qui a rendu visite à John Worboys en prison, renchérit en décrivant "un individu manipulateur et dangereux". L'affaire est même remontée jusqu'à Theresa May, qui a déploré que l'une des victimes, qu'elle connaît personnellement, ait appris la nouvelle par les médias.

Sans commenter la décision, la Première ministre s'est prononcée pour une "plus grande transparence" quant aux décisions de la commission, dont les motivations ne sont pas dévoilées au public. De leur côté, le maire de Londres, Sadiq Khan, et la présidente du comité des affaires intérieures, Yvette Cooper, n'ont pas hésité à reconnaître publiquement craindre le "danger" représenté par le "violeur au taxi noir". Lundi, huit femmes ont annoncé envisager de recourir au financement participatif pour payer les frais de justice d'un nouveau procès visant l'ancien strip-teaser. Ce dernier devrait être libéré dans les prochaines semaines.