Jair Bolsonaro, le Donald Trump brésilien qui électrise la présidentielle

Jair Bolsonaro
Jair Bolsonaro, candidat d'extrême droite à la présidentielle brésilienne, a été agressé à l'arme blanche jeudi. © EVARISTO SA / AFP
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Candidat autoproclamé de l'ordre dans un pays rongé par la corruption et la violence, le député victime d'une attaque au couteau jeudi s'est illustré par ses sorties racistes, homophobes et sexistes.

L'homme, vêtu d'un t-shirt jaune, est porté comme une rock-star par une foule en liesse. Jusqu'à, soudainement, recevoir un coup à l'abdomen qui le plie en deux et lui arrache une grimace de douleur. Les images deviennent ensuite floues, la panique palpable dans les rues de Juiz de Fora, une commune du sud-est du Brésil. Voilà ce que l'on peut voir dans plusieurs vidéos diffusées entre jeudi soir et vendredi matin sur Internet et dans les médias. Jair Bolsonaro, candidat à la présidentielle brésilienne, a été grièvement blessé par un coup de couteau en pleine campagne électorale.

Immédiatement transporté à l'hôpital, il y a été opéré. Sa famille, qui avait dans un premier temps parlé d'une "blessure superficielle", s'est ensuite ravisée. Et un médecin de l'équipe médicale a confirmé qu'une "lésion profonde" avait "atteint plusieurs organes", "trois perforations graves à l'intestin" ayant provoqué une hémorragie interne. Depuis, Jair Bolsonaro est dans un état stable. Mais son agression, qui compromet la suite de sa campagne, ajoute encore aux tensions politiques qui traversent le pays. Car celui qui a reçu le coup de couteau n'est autre que le favori de l'élection présidentielle brésilienne dont le premier tour est prévu le 7 octobre.

Une carrière d'abord militaire. Âgé de 63 ans, Jair Bolsonaro s'est lui-même défini comme un Donald Trump brésilien. Pas pour les cheveux, que ce natif de Campinas, dans l'État de Sao Paulo, a bien moins blonds et bien plus sages. La ressemblance est plutôt à chercher du côté du style direct, sans fard, volontiers provocant. Du côté, aussi, de l'argument du candidat anti-système. Car Jair Bolsonaro n'a pas toujours fait de politique. C'est un militaire de formation, diplômé de l'école des Agulhas Negras en 1977, et de carrière. Soldat, puis capitaine d'artillerie de l'armée de terre, il ne tâte de l'engagement qu'à partir de 1986, date à laquelle il commence à s'élever contre les salaires trop bas des militaires brésiliens. Deux ans et quelques réprimandes plus tard, il entre véritablement en politique en devenant conseiller municipal de Rio de Janeiro.

Un candidat rattaché à aucun parti. Comme Donald Trump, Jair Bolsonaro ne s'est jamais entièrement reposé sur une famille politique bien identifiée. D'abord candidat pour le Parti démocrate chrétien, il va ensuite se briguer la députation successivement pour le Parti progressiste réformateur, le Parti progressiste, le Parti travailliste brésilien, le Parti social-chrétien et, enfin, le Parti social-libéral, pour lequel il concourt aujourd'hui à la présidentielle. "Il se présente comme étant un candidat hors du système politique brésilien, alors qu'il cumule déjà sept mandats en tant que député", note Lucio Renno, professeur de sciences politiques à l'Université de Brasilia, auprès de RFI. "Toute sa famille est dans la politique." Notamment ses trois fils, Carlo, Flavio et Eduardo.

" Les armes ne nourrissent pas la violence, les fleurs n'apportent pas la paix. "

Pour une militarisation de la société et de la politique. De son passé de militaire, Jair Bolsonaro a gardé de nombreuses traces et beaucoup de propositions électorales. Le député est favorable à une militarisation globale de la politique et de la vie civile : il a promis six ministères et la vice-présidence à des généraux s'il est élu. L'une de ses propositions phares est l'assouplissement des règles du port d'arme pour la population. Car, comme aime le répéter le candidat, "les armes ne nourrissent pas la violence, les fleurs n'apportent pas la paix".

Favorable à la peine de mort, Jair Bolsonaro est aussi un admirateur de Pinochet et un grand nostalgique de la dictature militaire au pouvoir au Brésil entre 1964 et 1985. "Elle aurait dû assassiner quelque 30.000 personnes corrompues", assène-t-il en 1999, en référence au président de l'époque, Fernando Henrique Cardoso, soupçonné d'avoir mené des privatisations en échange de sommes d'argent. Lorsqu'il se prononce en 2016 pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff, il dédie son vote au militaire qui a torturé pendant plusieurs jours cette ex-guerillera.

Homophobe et sexiste. Et Jair Bolsonaro ne s'arrête pas là dans la provocation. Au magazine Playboy, il confie en 2011 préférer voir son fils "tué dans un accident plutôt qu'homosexuel". À propos de ses fils, toujours, le sexagénaire assure qu'ils ne sortiront jamais avec des femmes noires "parce qu'ils ont été bien éduqués". La réduction des quotas raciaux dans les universités figure d'ailleurs dans son programme pour la présidentielle. À l'une de ses collègues députées, Maria do Rosario, qui avait accusé l'armée de viols de masse en 2014, l'ancien militaire avait lancé devant les caméras : "je ne te violerai pas. Tu ne le mérites même pas."

" Bolsonaro est l'un de ceux qui profitent de ces crises multiples, économiques, sociales, politiques et démocratiques. "

Le messie Bolsomito. Ces provocations font mouche. Avec 22% des intentions de vote au premier tour selon un sondage Ibope publié le 5 septembre dernier, Jair Bolsonaro devance tous ses concurrents, à l'exception notable de Lula dont la participation reste incertaine, de dix points. Les jeunes (26%) et les classes les plus aisées (34%) plébiscitent celui qui a également développé une véritable stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Ses profils Facebook, Twitter et Instagram rassemblent à eux trois quelque 9,3 millions d'abonnés. Aux yeux de ses afficionados, qui le surnomment Bolsomito, un néologisme construit avec son nom et le mot "mito", "mythe" en Portugais, le député sera donc le messie d'extrême droite qui sauvera le Brésil de la corruption endémique dans laquelle l'ont plongés les gouvernements de gauche successif. "Il ne faut pas oublier que Bolsonaro représente aussi l'influence des églises évangéliques, actrices majeures au Brésil", rappelle également à Europe 1 Christophe Ventura, chercheur à l'IRIS spécialiste de l'Amérique latine. Le candidat est, par exemple, farouchement opposé à l'avortement et défend "une lecture religieuse de la société qui va avec une promesse de moralisation."

Démocratie fragilisée. Car la candidature, et maintenant l'agression de Jair Bolsonaro interviennent alors que la démocratie du pays est fragilisée. La destitution en 2016 de Dilma Rousseff, accusée d'avoir maquillé les comptes pour dissimuler le déficit budgétaire, puis l'interdiction faite par le tribunal supérieur électoral à l'ancien président Lula, condamné à de la prison pour corruption, de se présenter, ont été très controversées. À cela s'ajoutent une violence incontrôlable (60.000 assassinats par an) et une économie vacillante. "Bolsonaro est l'un de ceux qui profitent de ces crises multiples, économiques, sociales, politiques et démocratiques", résume Christophe Ventura. "Le rejet très fort de la politique en général par la population crée une sorte de trumpisme brésilien. Bolsonaro capte ces ressentiments et se transforme en candidat anti-système, ce qu'il n'est pourtant pas du tout."

" L'impact [de l'agression] sur les sympathisants [du candidat d'extrême droite] va être immense. Elle va renforcer l'idée qu'il est un leader spécial qui peut changer le pays et qui se bat contre une gauche autoritaire. "

Une campagne d'une rare violence. Dans ce contexte chaotique, la campagne présidentielle a été marquée par une forte polarisation entre gauche et extrême droite et des flambées de violence. Violence verbale, d'abord : la semaine dernière, Jair Bolsonaro, connu pour souvent mimer le geste de tirer sur ses opposants, a ainsi appelé à mitrailler les militants du parti des travailleurs de Lula. Des militants du PSOL, un autre parti de gauche, ont été agressés lors de meeting. Et l'attaque au couteau contre le candidat d'extrême droite est à la fois le symbole de cette brutalité et un probable catalyseur. Preuve en est : l'assaillant de Jair Bolsonaro, un ancien militant du PSOL de 40 ans, a été attrapé et tabassé par les sympathisants de sa victime avant d'être amené à la police. L'agresseur a quant à lui affirmé, par l'intermédiaire de son avocat, avoir agi "pour des motifs politiques, religieux, et également en raison des préjugés que montre Bolsonaro à chaque fois qu'il parle de race, de religion et des femmes".

Bolsonaro "pourrait bénéficier politiquement de l'attaque". Pour les observateurs, cette attaque devrait, paradoxalement, renforcer le candidat. "La campagne a radicalement changé depuis [jeudi] après-midi", écrit le journaliste brésilien Ascanio Seleme sur le site du quotidien O Globo. "Les images de l'attaque sont très fortes. Jair Bolsonaro apparaît comme la victime et, en tant que victime, pourrait bénéficier politiquement de l'attaque." Pour le politologue brésilien Mauricio Santoro, interrogé par le New York Times, "l'impact [de l'agression] sur les sympathisants [du candidat d'extrême droite] va être immense. Elle va renforcer l'idée qu'il est un leader spécial qui peut changer le pays et qui se bat contre une gauche autoritaire." Christophe Ventura, lui, se montre plus prudent, rappelant qu'en 2014, le décès d'un candidat dans un accident d'avion n'avait pas bouleversé les équilibres. "Ce qui est sûr, c'est que cette agression va devenir un enjeu. Mais personne n'est capable de dire précisément quelles conséquences cela pourra avoir."

Du côté de l'entourage de l'ancien militaire, on se démène pour en tirer profit. Vendredi matin, son fils Flavio a posté une photo de lui sur son lit d'hôpital, bardé de tubes et de perfusions mais souriant et levant le pouce victorieusement. Une image accompagnée de ce message : "Jair Bolsonaro est plus fort que jamais, prêt à être élu président du Brésil au premier tour."