Intervention turque en Syrie : "Erdogan s'est rendu compte qu'il fallait combattre Daech "

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Invité sur Europe 1, le politologue Dominique Moïsi analyse les motifs de l'intervention au sol turque en Syrie lancée mercredi.
INTERVIEW

C'est une grande première en cinq ans de conflit syrien. Mercredi, la Turquie a lancé sa première grande offensive au sol contre l'organisation Etat islamique, traversant la frontière et bravant Damas. L'opération, baptisée "Bouclier de l'Euphrate", a permis aux rebelles syriens de reprendre la ville de Djarablous, jusque-là sous administration de l'EI. Ces grandes manœuvres sont soutenues et saluées par les puissances de la coalition, Etats-Unis et France en tête. Mais pour Dominique Moïsi, conseiller spécial à l'Institut Français des Relations Internationales, ce soudain bellicisme turc n'a rien de désintéressé, et révèle la politique ambiguë d'Erdogan : "Sous prétexte de combattre l'Etat Islamique, les Turcs font le ménage. La date n'est pas neutre. le fait que la Turquie fasse une telle démonstration de force mercredi, au moment où Joe Biden arrive en Turquie, est très significatif. C'est un message adressé à la communauté internationale, une manière de dire : peut-être que vous ne m'aimez pas mais vous avez besoin de la Turquie, vous n'avez pas le choix".

Rapprochement spectaculaire avec les puissances occidentales. Avec ce signe de bonne volonté, la Turquie se rapproche également encore un peu plus de ses alliés traditionnels, avec lesquels elle était en froid dernièrement. La raison de ce revirement ? Elle est à rechercher du côté des troubles politiques qui ont agité le pays et mis en danger Erdogan d'après Dominique Moïsi : "Aujourd'hui Erdogan s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas affronter des putschistes chez lui sans l'appui de ses alliés. D'où ces rapprochements parfois spectaculaires avec Israël, avec l'Iran, avec les Etats-Unis et avec la Russie." 

Joe Biden, le messager. Avec les Etats-Unis justement, la Turquie est actuellement en pourparlers sur une potentielle extradition de Fethullah Gülen, le prédicateur accusé d'avoir ourdi le putsch contre le régime, qui vit depuis des années aux Etats-Unis. Le vice-président Joe Biden, actuellement en visite en Turquie, tente de ne pas braquer la Turquie sur le sujet pour qu'Ankara continue à aller dans le sens de la coalition. Un jeu fin que décrypte bien le chercheur : "Les Etats-Unis disent "nous vous comprenons" mais ajoutent que l'extradition de Gülen n'est pas du ressort de la Maison Blanche, que ce sont les juges qui décideront. Pour faire passer le message, Joe Biden est le meilleur choix possible. Il est le numéro deux des Etats-Unis, et une personnalité chaleureuse qui parviendra à faire passer des messages à Erdogan. 

Prise de conscience du risque que représente Daech. Outre ce message adressé aux puissances occidentales, l'offensive turque révèle une prise de conscience du côté d'Ankara, ajoute Dominique Moïsi : "Jusque-là, ils ont toujours combattu en priorité la menace kurde, on leur reprochait d'ailleurs." Mais la vague d'attentats qui ont ensanglanté le pays, pour la plupart revendiqués par l'organisation Etat islamique, a peu à peu changé la donne aux yeux du chercheur :  "Le régime Erdogan s'est rendu compte que Daech représentait aussi une menace qu'il fallait combattre."