Génocide au Rwanda : la France aurait ordonné le réarmement des génocidaires Hutus

Opération turquoise
Le caractère humanitaire de l'opération Turquoise a toujours été mis en avant par la France. © HOCINE ZAOURAR / ARCHIVES / AFP
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Mathilde Belin , modifié à
La "Revue XXI" dévoile le témoignage d'un haut fonctionnaire qui a eu accès aux archives classées secret défense de l'Élysée sur le génocide au Rwanda.

23 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, de nouvelles révélations viennent mettre en cause l'État français. La Revue XXI dévoile dans son édition à paraître mercredi l'existence de plusieurs documents qui confirment que les autorités françaises ont sciemment donné l'ordre de réarmer les auteurs du génocide, les Hutus. L'article de Patrick de Saint-Exupéry, co-fondateur de la revue et journaliste spécialisé sur ce génocide qui a conduit à la mort de 800.000 Tutsis en 1994, se base sur le témoignage d'un haut fonctionnaire habilité secret défense, qui a eu accès aux archives de l'Élysée sur le génocide rwandais.

Une note secrète de l'Élysée. Chargé de faire le tri et d'examiner ces documents que Français Hollande avait promis de déclassifier en avril 2015, le haut fonctionnaire a mis la main sur une note prouvant que les soldats français de l'opération "Turquoise", déployés en juin 1994 trois mois après le début du génocide, ont reçu l'ordre "de réarmer ceux qui viennent de commettre le génocide", a affirmé le journaliste sur France Inter lundi. Les Hutus auraient ainsi réceptionné au Zaïre voisin des armes auparavant confisquées par la France.

" Nous livrions des armes pour que les génocidaires ne se retournent pas contre nous "

Certains militaires français auraient discuté cet ordre : "Une dizaine d'officiers ont demandé à exercer leur droit de retrait pour ne pas avoir à exécuter cet ordre", explique encore Patrick de Saint-Exupéry. La directive a toutefois été confirmée par l'Élysée, dans une note signée de la main d'Hubert Védrine, alors secrétaire général de l'Élysée, selon le témoignage du haut fonctionnaire.

"Laisser passer un convoi d'armes". Guillaume Ancel, déployé au Rwanda dans le cadre de l’opération "Turquoise", a affirmé mardi auprès du Monde avoir vu "la réalisation d'une de ces livraisons dans la deuxième quinzaine de juillet" 1994. "Le commandant adjoint de 'Turquoise' sur la base de Cyangugu m’a demandé de retenir l’attention de journalistes pour laisser passer un convoi d’armes vers le Zaïre (...) Il y avait une dizaine de camions chargés de container. Le soir, lors du debriefing, on m’a expliqué que nous livrions des armes pour que les génocidaires ne se retournent pas contre nous", a confié l'ancien officier de l'armée de terre.

L'opération Turquoise fait polémique
Quelque 2.500 soldats français ont été envoyés au Rwanda de juin à août 1994 dans le cadre de l'opération "Turquoise", autorisée par l'ONU, afin de mettre fin aux massacres en cours. Auparavant alliée au régime rwandais alors constitué d'Hutus, la France a toujours assuré qu'elle avait cessé de fournir des armes aux forces rwandaises quand elle a eu connaissance des massacres. Mais l'intervention française au Rwanda a toujours fait polémique, et plusieurs voix ont dénoncé le fait que la France, sous couvert d'une opération humanitaire, aurait en réalité protégé et réarmé les génocidaires. Lors d'une audition parlementaire en 2014, Hubert Védrine a reconnu implicitement les faits : "Il y a eu livraison d’armes pour que l’armée rwandaise soit capable de tenir le choc (…) Donc il est resté des relations d’armement, et ce n’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies."

Des archives encore classifiées. Les documents cités par la Revue XXI confirmeraient que la France a toujours soutenu les génocidaires Hutus tout en ayant conscience que ceux-ci venaient de commettre le génocide dans les trois mois précédents. L'État français aurait ainsi violé un embargo sur les armes décrété un mois plus tôt par l'ONU, qui avait déjà employé le terme de "génocide" pour parler du Rwanda.

"Oui, la France savait tout des massacres", en conclut Patrick de Saint-Exupéry. "Il y a une implication extrêmement importante et, à vrai dire, mystérieuse des plus hautes autorités françaises dans les événements du Rwanda", a encore indiqué le journaliste à L'Obs. Les archives évoquées par le haut fonctionnaire sont toutefois inaccessibles aux chercheurs et aux historiens. Selon Patrick de Saint-Exupéry, François Hollande n'a pas tenu sa promesse de déclassifier les documents sur le génocide au Rwanda "à cause du constat qu'a réalisé ce haut fonctionnaire qui a vu des documents extrêmement compromettants".