Etre reconnu comme Etat, ça changerait quoi pour la Palestine ?

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L'ANALYSE - L'Assemblée Nationale va voter un texte symbolique sur la reconnaissance de la Palestine. Si l'Etat français venait à suivre cette orientation, quelles en seraient les conséquences pour Ramallah ?

Ce n'est qu'une "proposition de reconnaissance", un texte que le gouvernement interprétera comme bon lui semble. Et pourtant, ce vote de l'Assemblée nationale, le 2 décembre prochain, sera l'objet de toutes les attentions. Rien d'étonnant puisqu'il s'agira pour les députés d'inviter le gouvernement à reconnaître officiellement l'Etat palestinien.

Un changement de taille, puisqu'aujourd'hui, la France ne reconnaît pas le statut d'Etat à l'administration palestinienne, qualifiée "d'autorité". Mais tout cela pourrait changer, puisque la Suède, l'Espagne et la Grande-Bretagne, ont toutes également entériné cette reconnaissance, ou en prennent le chemin. Pourquoi la question de la reconnaissance de l'Etat palestinien est-elle aussi importante ? Europe1.fr fait le point avec François Dubuisson, professeur de droit international à l'Université Libre de Bruxelles et Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l'université de Cergy-Pontoise.

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Parce que la Palestine a les attributs d'un Etat en droit, mais pas dans les faits

Du point de vue purement théorique, difficile de contester à la Palestine son statut d'Etat. Démonstration avec François Dubuisson : "La Palestine remplit les critères du droit international qui définissent un Etat, à savoir avoir un gouvernement souverain, un territoire défini et une population permanente."

Mais dans les faits, c'est autre chose, comme l'explique le juriste : "Toute la question porte sur l'application des critères du droit international. Il faut que le gouvernement puisse exercer sur l'ensemble du territoire. Or, la majorité du territoire (60 à 70%) échappe actuellement au contrôle de l'autorité palestinienne, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est." "On peut donc dire qu'en droit, la Palestine a le droit d'être un Etat, mais qu'elle ne l'est pas sur le plan effectif", conclut François Dubuisson.

Concrètement, la reconnaissance n'amènerait pas de gros changements pour la Palestine et les Palestiniens

Abbas ONU Palestine

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Pas de grand changement à attendre de la reconnaissance par la France ou d'autres pays du statut d'Etat de la Palestine. François Dubuisson explique pourquoi : " Si on prend la situation actuelle, le fait que la Palestine soit unanimement reconnue comme un Etat ne changerait pas grand-chose puisqu'elle est déjà acceptée comme tel depuis son adhésion à l'Unesco en tant qu'Etat-membre en octobre 2011 et son passage au statut d'Etat non-membre de l'ONU en novembre 2012."

Jean-Paul Chagnollaud nuance cette affirmation. Pour lui, une éventuelle reconnaissance de l'Etat palestinien par la France, et plus largement par les membres de l'Union Européenne, aurait des implications bien réelles: " Cela aurait des conséquences sur le terrain bien sûr : des représailles, la reprise de la colonisation et le verrouillage des territoires par Israël. A chaque avancée pour la Palestine sur le plan du droit, Israël applique la même réponse."

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Diplomatiquement, ce serait une étape importante

Dans le jeu diplomatique en revanche, une nouvelle vague de reconnaissances, par des Etats européens de surcroît, renforcerait la position palestinienne, avance  Jean-Paul Chagnollaud. Et pour cause, "si on regarde une mappemonde des Etats qui ont reconnu ou non la Palestine, on se rend compte que le monde entier (137 Etats sur 193, NDLR) l'a reconnue, sauf l'Europe, les Etats-Unis, le Canada, le Japon et la Corée du sud. On se rend compte que c'est l'Occident qui est particulièrement réticent, mais avec ces processus de reconnaissance en Espagne, en Suède, en Grande-Bretagne, il y a une vraie fissure au sein du bloc occidental."

En revanche, le statut d'Etat ne permet pas à la Palestine d'adhérer à toutes les organisations internationales. La raison : les Etats-Unis ont annoncé qu'ils retireraient leur participation au budget des instances où la Palestine siégerait. C'est ce qui s'est passé lorsque la Palestine est devenue membre de l'UNESCO en octobre 2011. "Depuis, l'UNESCO a perdu 30% de ses financements", détaille François Dubuisson. "C'est un moyen de faire pression sur la Palestine et sur les instances internationales qui hésitent à l'accueillir", poursuit le chercheur.

Dernier changement, très concret celui-ci, qu'impliquerait la reconnaissance française selon le juriste international : "la délégation palestinienne en France aurait le statut de corps diplomatique ". Conséquence, la Palestine aurait une ambassade et sa délégation bénéficierait de l'immunité diplomatique.

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Juridiquement, ce serait une grande victoire

Du point de vue du droit international, la reconnaissance par la France serait une grande victoire pour la Palestine, explique Jean-Paul Chagnollaud. "Si la Palestine est unanimement reconnue comme un Etat, elle se retrouve sur le même plan juridique que les autres, c'est une démarche très importante." Et le professeur de sciences politique d'ajouter : "Par exemple, la question d'appliquer ou non la convention de Genève (qui régit le droit de la guerre, ndlr.), qui est récusée pour l'instant par le gouvernement de Netanyahou, ne se poserait même plus, ce serait automatique. Si la Palestine est un Etat, ça coupe court au débat." Pour l'instant, de nombreuses ONG comme Human Rights Watch dénoncent l'attitude d'Israël, notamment lors de l'opération Bordure Protectrice du mois d'août 2014.

Autre conséquence de la reconnaissance progressive de l'Etat palestinien dans le monde, son adhésion à une quinzaine de conventions internationales, comme la convention contre la torture ou celle relative aux droits des femmes. Ce qui signifie qu'elle peut signaler une violation de ces règles. François Dubuisson souligne d'ailleurs un autre changement important, survenu en 2012 : "il y a deux ans, la Cour pénale internationale a affirmé que la Palestine pouvait potentiellement devenir membre et pourrait donc déposer des recours." Une arme dont ne s'est pas encore servi, et pour cause : "c'est une carte qu'elle garde dans sa manche parce qu'elle sait qu'on ne peut pas la jouer deux fois", conclut François Dubuisson.