En Hongrie, les pro-Orbán crient leur déception : "Moi, j'étais pour l'Europe, j'espérais une vie meilleure"

Hongrie
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Sandrine Prioul, édité par G.S. , modifié à
Alors que l'Union européenne fête ses 60 ans, la Hongrie connaît une profonde crise identitaire. Reportage. 
REPORTAGE

Le Traité de Rome fête son soixantième anniversaire. Depuis 60 ans, l'Europe s'est élargie au fil des années. De six, on est passé à neuf, puis dix, douze, quinze… Le grand saut, c'était en 2004 : l'Europe de l'Est entrait dans l'Union. Dix nouveaux états, parmi lesquels la Hongrie. Au sein de ce pays situé aux frontières orientales de l'Union européenne, les conservateurs populistes ont été portés au pouvoir, avec à leur tête, Viktor Orbán.

Main mise sur les médias et les institutions judiciaires, rejet de tout effort pour faire face collectivement à la crise migratoire  - une deuxième barrière de barbelés est en cours de finition à la frontière avec la Serbie, où les réfugiés seront enfermés en attenant la réponse à leurs demandes d'asile – Viktor Orbán a pris la tête d’un groupe de pays membres qui montrent des velléités de repli sur soi. Il y a dix jours, c’était "fête nationale" en Hongrie. L'occasion de dresser le portrait d’un peuple tiraillé. Reportage.

Une fête nationale comme un grand meeting. Devant le grand musée de Budapest, 2.000 Hongrois, que le parti au pouvoir a entassés dans des bus, se pressent. Tout le pays doit acclamer son Premier ministre, entre chants patriotiques et folklore nostalgique de l'Empire austro-hongrois.

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C'est l'Europe qui profite de nous, elle nous refile toute la camelote

"On vit une époque de soulèvement des peuples d'Europe !", a scandé le chef du gouvernement hongrois sous les applaudissements. Et d'enchaîner : "L'année dernière, les nations se sont révoltées contre les bureaucrates de Bruxelles, contre cette alliance d'hypocrites contre les médias libérés, contre le capital international assouvi : les Anglais d'abord, les Américains et, cette année, ça va continuer ! Il faut protéger notre indépendance ! Bloquer Bruxelles, défendre nos frontières, et mener courageusement nos batailles contre ceux qui nous imposent la relocalisation obligatoire des réfugiés".

Les propos du gouvernement ultra-conservateur infusent depuis une dizaine d'années. "Je n'aime pas l'Europe, parce que depuis que le monde existe, les grandes puissances exploitent les petits pays. Et puis les aides ! Quelles aides ? C'est l'Europe qui profite de nous, elle nous refile toute la camelote qu'elle ne peut pas vendre ailleurs", commente un membre du public. "Moi, j'étais pour l'Europe. J'espérais une vie meilleure, mais maintenant, je veux qu'on ferme les frontières, vite"¸ renchérit un autre. "L'Europe de l'Ouest nous a pris tous nos marchés, elle a racheté nos usines… Ils mettent la main sur notre économie, et après, ils récupèrent nos profits. Non, vraiment, l'Union européenne, ce n'est pas un cadeau pour les finances !", poursuit un troisième. "Ah, ah, oui ! On se fait toujours avoir ! Moi, je sortirais de l'UE. Bon débarras et qu'ils soient heureux sans nous !", raille un dernier.

 

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Le bonheur, ces Hongrois, plus âgés et vivant souvent dans les campagnes, le voient plutôt à l'Est, sous la protection de la Russie de Poutine. Posant un regard jaloux vers l'Europe occidentale, qu'ils estiment responsable de tous les maux de leurs pays : de l'énergie trop chère à une alimentation de moindre qualité et, surtout, de ce que Victor Orbán appelle "l'invasion".

"L'immigration, on n'en veut pas. On ne peut pas se permettre d'être dans la même situation que la France, l'Allemagne ou la Belgique. Notre nation n'est pas aussi riche pour accueillir plusieurs centaines de milliers de migrants. Et si l'Europe ne résiste pas à ce flot migratoire, comme l'Empire romain, elle disparaîtra", pronostique au micro d'Europe 1 un hongrois pro-Orbán. "L'Europe, ce n'est pas qu'il faille la remettre en question. Mais pour être forts, il faut que cette coopération soit basée sur le christianisme. Le christianisme, c'est la base de notre identité", renchérit une autre.

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Il faut le dire très fort que les Hongrois, en fait, aiment l'Europe

Un retour aux valeurs traditionnelles - presque identitaires - qui crispe tout un pays, et marginalise les opposants au régime d'Orbán. "Diktator, diktator, diktatot", scandent-ils à 5 km de la foule.

Une autre résistance s'organise, grâce à un nouveau parti, Momentum. Autour d'une table en bois, sous une tente, des étudiants, la société civile qui, à la manière de Podemos, se rêve déjà en contre-pouvoir débat aussi de frontières ou d'Europe économique autour d'Anna et Andres, nouveaux leaders politique depuis deux mois. "Malheureusement, aujourd'hui, les jeunes sont devenus totalement apolitiques. Ils se sentent aussi loin de Bruxelles que du Parlement hongrois. Victor Orbán leur a ôté tout espoir dans l'Europe. Pourtant, on a terriblement besoin de cette protection, évidemment. Mais le débat tourne en permanence sur 'plus de contrôle aux frontières', et dissipe totalement le respect des Droits de l'Homme !", déplore Anna. "Oui, et il faut le dire très fort que les Hongrois, en fait, aiment l'Europe. Mais à cause d'un double discours de nos dirigeants politiques, ils montent la population contre Bruxelles et les idées de l'Europe. Ils nous font passer pour des marionnettes, c'est détestable…", renchérit Andres.

Un pays tiraillé sur l'Europe, donc, et divisé son avenir. Il devra voter, dans un an exactement, pour renouveler son Parlement aux prochaines législatives.