Tuerie de Chevaline : la piste de l'espionnage industriel

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Frédéric Frangeul , modifié à
Un an après, le conflit d'héritage et l'espionnage industriel sont les principales pistes d'investigation.

Les faits. Le 5 septembre 2012, Saad al-Hilli, un Britannique d'origine irakienne de 50 ans, est tué de plusieurs balles avec sa femme et sa belle-mère au cours de leurs vacances sur les bords du Lac d'Annecy, en Haute-Savoie. Un cycliste de la région, probable victime collatérale, est également abattu, alors que les deux filles du couple al-Hilli réchappent au "massacre", l'une étant blessée et l’autre étant découverte sous les jupes de sa mère et de sa grand-mère, plus de huit heures après la leur mort. Un an après les faits, les enquêteurs ont insisté vendredi, lors d'une conférence de presse franco-britannique, sur l'ampleur des investigations engagées pour tenter d'élucider cette énigme, citant l'Irak, le conflit d'héritage et l'espionnage industriel parmi les principales pistes d'investigation.

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Un frère au comportement mystérieux. La piste familiale, nourrie par une relation conflictuelle entre Saad al-Hilli et son frère aîné Zaïd, notamment pour des questions d’héritage, semble privilégiée depuis le début de l’enquête. L'interpellation, près de Londres en juin, de Zaïd al-Hilli, confirme cette hypothèse, mais ce suspect a été relâché, faute de preuves. Le comportement de Zaïd al-Hilli laisse toutefois les enquêteurs perplexes. Placé sous contrôle judiciaire en Grande-Bretagne jusqu’au 23 octobre, il refuse de répondre aux convocations des magistrats français et des enquêteurs britanniques qui souhaitent l’interroger sur son emploi du temps et ses relations avec son frère.

Des monceaux de données informatiques à analyser. Les enquêteurs s'appuient donc sur les énormes données informatiques de Saad al-Hilli. Ce dernier, qualifié d'"obsessionnel", enregistrait en effet pratiquement toutes ses conversations et avait emporté en vacances ses disques durs et plusieurs ordinateurs. A l'intérieur : des documents sur le conflit "violent" qui l'opposait à son frère aîné à propos de l'héritage paternel. Cet héritage, de trois à cinq millions d'euros, n'était "pas colossal" mais "on sait que des gens sont capables de tuer pour beaucoup moins que ça", a souligné vendredi Eric Maillaud. "Zaïd est considéré comme un suspect", a affirmé Eric Maillaud. Mais "pas le suspect n°1", ni "un présumé coupable", a-t-il insisté.

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La piste du "tueur fou". De fait, les enquêteurs ont passé au crible tous les éléments qui pourraient conduire à la découverte de l’auteur du crime. L’hypothèse du tueur isolé est ainsi toujours à l’étude, du fait notamment de l’arme utilisée, un Luger PO6. Ce pistolet a été spécialement conçu pour l’armée helvétique et fabriqué à Berne, en Suisse, non loin du lieu de la tuerie. Cette arme, très présente en Haute-Savoie dans les années 1920-1930, n’est en revanche pas utilisé par les tueurs professionnels. Les enquêteurs ont donc étudié la piste du "tueur fou" ou d’un déséquilibré collectionneur d’armes.

Les gendarmes tentent donc d'identifier les auteurs de 4.000 appels téléphoniques passés par des relais proches de la scène de crime. Comme il s'agit souvent d'étrangers, quelque 80 commissions rogatoires internationales (CRI) ont été adressées à une vingtaine de pays. "Nous avons estimé qu'en termes d'investigation, nous en avions encore au moins pour une année, ne serait-ce que pour le retour des CRI", a pointé le lieutenant-colonel Benoit Vinnemann, commandant de la section de recherches de Chambéry.

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Des activités occultes ? Les enquêteurs se sont ont aussi penchés sur l’univers professionnel de Saad al-Hilli et la piste de l'espionnage inductriel. Ingénieur en aéronautique et consultant pour plusieurs sociétés, il travaillait dans un secteur sensible qui aurait pu attiser des convoitises. "Saad al-Hilli, avait en sa possession beaucoup plus de données que son seul emploi ne le justifiait", a expliqué Eric Maillaud. "Pour l'instant, on nous dit que tout ça n'avait pas de véritable valeur marchande", a-t-il précisé. "C'est un pan de l'enquête extrêmement complexe, qui va demander énormément de temps".

Le patrimoine familial intéresse les enquêteurs. Une autre piste s'oriente vers l'Irak, où le père de Saad possédait notamment une maison et un terrain dans un quartier huppé de Bagdad. En 2004, Saad et Zaïd avaient entrepris, ensemble, des démarches pour récupérer ce patrimoine. "La question se pose de savoir si ceux qui en Irak se trouvent actuellement à la tête du patrimoine du père n'avaient pas intérêt à ce que les deux frères al-Hilli disparaissent", a expliqué Eric Maillaud. Pour mieux cerner le profil et le patrimoine de la famille al-Hilli, une commission rogatoire internationale a été adressée à l’Irak à l’automne dernier. Les investigations menées en ce sens n’ont pour l’instant rien donné.

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Le cycliste, victime collatérale ? Sylvain Mollier, qui n’avait aucun lien avec la famille al-Hilli, a été abattu sur les lieux de la tuerie alors qu’il circulait à vélo . Agé de 45 ans, il se trouvait à cet endroit "par erreur" après s’être "trompé de route", selon le procureur Eric Maillaud. Cette piste a donc été fermée "à 99,9% par les enquêteurs", avait-il souligné en décembre dernier. D’autant que l’étude de sa vie privée n’avait rien révélé d’exploitable pour l’enquête.

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