Attentat en Isère : Yunes " nous a complètement bernés" confie sa mère

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La mère de Yunes, le destinataire des photos macabres envoyées vendredi par Yassin Salhi, dresse un portrait ambivalent de son fils, parti en Syrie à l'automne.
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Elle a appris la nouvelle quelques heures avant les enquêteurs mais n'a rien dit. Elle n'a pas réalisé surtout. Nejma* est la mère de Yunes, le destinataire des deux photos macabres envoyées vendredi par Yassin Salhi. Ce dernier est poursuivi pour avoir décapité son patron, avant d’entreprendre une tentative d’attaque kamikaze contre une entreprise classée Seveso. Le rôle de Yunes, lui, reste à déterminer dans cette affaire. Alors que certains n'ont pas hésité à le présenter comme le potentiel commanditaire de l'attaque, sa mère a accepté, avec pudeur et dignité, de nous livrer un portrait contrasté de Yunes. Le portrait d’un jeune homme converti en 2003, qui a pris la route de la Syrie en novembre dernier, emmenant avec lui sa femme et sa fille, aujourd'hui âgée de deux ans. Surmontant une détresse insondable, Nejma adresse donc aujourd'hui un appel à la raison à son fils avec qui elle communique quasi-quotidiennement.
 
"Il nous a bernés complètement". Comme c'est souvent le cas lors des départs de famille en Syrie, le projet repose sur un mensonge bien ficelé à annoncer aux proches pour éviter le moindre soupçon. Celui de Yunes constituait à assurer à ses parents qu'il partait vivre en Belgique. Et Nejma n'y a vu que du feu. "Il nous a bernés complètement. Il m'a dit qu'il avait trouvé un travail, qu'il allait partir en Belgique, à Bruxelles exactement. Il nous a dit qu'il ferait une halte chez ses beaux-parents qui habitent du côté de Paris et ensuite qu'ils iraient à Bruxelles", se souvient la mère de famille.
 
"Ils ont gagné quatre semaines". Après trois semaines de silence, la famille, habituée à recevoir régulièrement des nouvelles de leur fils, s'inquiète. Commence alors une enquête familiale qui va rapidement alimenter leurs plus vives inquiétudes. "Au bout de trois semaines, le père de Yunes a téléphoné aux parents de sa belle-fille. C'est là que l'on a appris qu'ils n'étaient jamais allés là-bas. Ils ont gagné quatre semaines pratiquement. Là, nous étions désespérés parce qu'on ne savait pas du tout où ils étaient", confie Nejma.
 
"Un pays où ils allaient vivre leur religion comme ils l'entendaient". La nouvelle du départ en Syrie sera confirmée par sa belle-fille, quelques semaines après, au moment de Noël. "Le 23 décembre, nous avons reçu un mail de ma belle-fille qui nous disait qu'ils étaient arrivés en Syrie, qu'ils étaient enfin arrivés dans un pays où ils allaient vivre leur religion comme ils l'entendaient. Alors là, c'était l'effondrement.
 
"Oui maman, ils sont barbares". Si Nejma a bien vu la longue radicalisation de son fils, jamais elle n'aurait pensé qu'il puisse rejoindre les rangs de l'Etat islamique. "Auparavant, c'est vrai que mon fils il pratiquait, il était barbu, etc. Mais, en même temps, à l'époque où il y avait les terribles assassinats des journalistes qui étaient otages, je lui en ai parlé, je lui ai dit : 'tu te rends de toute cette barbarie ?'. Il m'avait répondu : 'oui maman, ils sont barbares, ce n'est pas ça l'islam'", se remémore la mère de famille perdue par les contradictions, "ou les mensonges" de son fils.
 
"J'ai échangé quotidiennement avec lui". C'est donc un sentiment ambivalent que ressent aujourd'hui Nejma, partagée entre l'envie de couper les ponts avec son fils dont elle ne peut cautionner les actes et l'envie de garder contact avec lui. "Depuis son départ, j'ai échangé quotidiennement avec lui. Il me dit que pour lui c'était le vrai Etat islamique. c'es là-bas que l'on devait vivre sa religion, sa foi. Donc, il n'était pas du tout dans une démarche de tuer de combattre. Mais nous, sachant ce qu'il se passait là-bas, c'était le désespoir et la douleur.
 
"Je suis une des causes dans ce qu'il a fait". Jusqu'au jour où les nouvelles quotidiennes deviennent toxiques. Comme ce vendredi 26 juin, où elle apprend stupéfaite que son fils connaît l'auteur des attaques en Isère. "Quand j'ai entendu cet horrible acte qui s'est produit dans l'Isère, j'ai écrit un message WhatsApp à mon fils. C'est moi qui lui ai écrit : 'un malade qui s'appelle untel a fait ça, tu le connais ?' Il m'a répondu : 'oui je sais, c'est un bon frère à moi'. C'est comme ça que j'ai su qu'il le connaissait bien. Je suis tombée des nues. Inutile de vous dire dans quel état ça m'a mis", lâche-t-elle dans un sanglot.
 
Car Nejma n'avait pas la moindre idée des connaissances de Yunes restées en France. "Il ne m'avait jamais parlé de ses fréquentations. Je n'avais jamais entendu parler de Yassin Sahli. C'était top secret. Il disait qu'il avait des frères, mais je ne les avais, jamais vu, je ne savais pas qui c'était. Mon fils m'avait dit que c'était un très bon frère, j'ai supposé que c'était son seul ami", assure-t-elle.
 
Un seul ami à qui il décide donc d'envoyer deux photos de son passage à l'action. "Concernant les photos, je ne croyais pas Yunes, je lui ai donc demandé de me les envoyer. Il m'a répondu qu'il n'avait pas l'autorisation de me les envoyer, qu'il n'avait pas l'autorisation de l'Etat islamique. Il m'a seulement dit qu'il savait ce qu'il s’était passé", raconte Nejma. Et d'ajouter : "dans un message il me met : 'je suis une des causes dans ce qu'il a fait".
 
"Il a choisi ces barbares". Des révélations qui plongent Nejma dans la plus grande confusion. "Pour moi, mon fils depuis qu'il est parti il a choisi ce pays, il a choisi ces barbares. Pour moi, bien sur qu'il fait parti des terroristes. Mais je ne peux pas vous dire si c'est lui qui a commandité, ça je ne peux pas le dire", prévient cette mère de famille confrontée à une détresse insondable.
 
"C'est comme si j'avais enfanté d'un monstre. Je lui en veux. Il m'a privé de ma petite fille. J'en veux à lui, j'en veux à elle, mais eux, ils l'ont choisi, alors que ma petite-fille elle n'a pas choisi", déplore-t-elle dans un sanglot.
 
"Reviens à la raison. Je t'aime". Et d'appeler son fils à la raison et à l'amour : "Yunes, si tu m'entends, reviens un peu à la raison. Ce n'est pas toi, tu t'es laissé embobiner, tu étais un être intelligent. Quand je te pose des questions tu répètes les choses comme un perroquet. Tu ne réfléchis plus par toi même. Tu es dans une secte. C'est une secte. Ce ne sont pas des musulmans. Ce sont des barbares. Toi même tu me l'as dis. Tu m'as dit : 'maman ce sont des barbares'. Ce sont des animaux. Reviens à la raison. Je t'aime. Et c'est parce que je suis ta mère et que je t'aime que je te dis ça."
* Le prénom a été changé

>> Ecoutez la mère de Yunes au micro de Thomas Sotto :