"Aujourd'hui l’affaire Gregory ne se serait pas passée ainsi"

Le 16 octobre 1984, Gregory Villemin était retrouvé mort dans la Vologne. Ce crime n'a jamais été élucidé.
Le 16 octobre 1984, Gregory Villemin était retrouvé mort dans la Vologne. Ce crime n'a jamais été élucidé. © BEP/LE REPUBLICAIN LORRAIN
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Thomas Sotto avec , modifié à
INTERVIEW E1 - Près de trente ans après les faits, le juge Lambert, qui avait instruit le dossier , revient sur une affaire qui l’a bouleversé.

C’est une affaire bientôt vieille de trente ans. Le 16 octobre 1984, Gregory Villemin était retrouvé mort dans la Vologne. Un meurtre qui reste l’une des plus grandes énigmes judiciaires françaises.

Pendant deux ans, Jean-Michel Lambert a été l’un des juges emblématiques du dossier. Il était l’invité de la matinale d’Europe1, à l’occasion de la sortie de son livre De combien d'injustices suis-je coupable ?.
 
Le magistrat, désormais âgé de 62 ans, revient sur une affaire qui a bouleversé sa vie. Il y évoque notamment sa certitude de l’innocence de Bernard Laroche, qu’il avait écroué puis remis en liberté quelques mois plus tard. En mars 1985, le père de Gregory, convaincu de la culpabilité de Bernard Laroche, l’avait tué d’un coup de fusil.

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Vous sortez un livre, De combien d'injustices suis-je coupable ?. On en retient, entre autres, votre certitude que Bernard Laroche est innocent. D’où vient cette conviction ?

Quand j'ai libéré Bernard Laroche en février 1985, j'avais la certitude qu'il n'existait plus aucune charge contre lui. Un peu plus tard, courant avril, je comptais rendre en sa faveur un non-lieu ; son assassinat l'en a privé.

Vous sentez-vous coupable de la mort de Bernard Laroche ?

En partie, puisque c’est moi qui l’ai inculpé. Ce jour-là, j’ai pris une décision très grave. Je n’entrerai pas dans le dossier, mais je dirais qu’au fil des semaines, des mois, les éléments à charge se sont effilochés et ont disparu.

Avec le recul, remettriez-vous Bernard Laroche en prison le temps de vos vérifications ?

A l'époque, j'étais le seul juge d'instruction à Épinal, avec deux cabinets à gérer. Il y avait une pression médiatique très forte. Je crois que dans cette affaire, tout le monde - enquêteurs, magistrats -, nous avons tous manqué de sérénité.  Or, la sérénité est une condition indispensable dans toute affaire criminelle.

Malheureusement, on peut refaire le film après. Aujourd’hui, si on enlève la médiatisation et s'il y avait eu deux juges, l’histoire ne se serait pas passée ainsi.

L’affaire Gregory correspondait à votre premier poste. Vous aviez 32 ans. La justice se trompe-t-elle lorsqu’elle donne des dossiers aussi lourds à des magistrats aussi jeunes ?

On ne peut pas refaire le film ! Le dossier Grégory portait le numéro 180, j'ai fini l'année avec le dossier 229 : entre le 17 octobre et le 31 décembre, 49 nouveaux dossiers que j'étais seul à gérer.

L'avocat de la famille Villemin se dit choqué de votre livre...
 
Je ne vois pas ce que je peux lui répondre : il n'est pas question de ses clients dans le chapitre consacré à l'affaire, mais de Bernard Laroche, qui était marié, qui avait un enfant. Son assassinat a laissé une veuve et un orphelin.

Avez-vous une intime conviction de l’identité  du meurtrier ?

Seule une cour d'assise pourrait livrer son intime conviction... Je refuse de répondre.

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