Incendie d'un squat de migrants à Nice : le voisin a-t-il voulu en "finir" ?

© DAMIEN MEYER/AFP
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Une nuit de mars 2013, deux migrants tunisiens avaient péri dans l'incendie de leur squat à Nice. L'incendiaire présumé, qui nie les faits, est jugé à partir de lundi devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes. 

Passé le terrible mur de la mer Méditerranée, le long chemin des migrants vers l'eldorado reste un périple semé d'embûches où la mort rôde à chaque tournant. Comme cette nuit de mars 2013, à Nice, quand un squat occupé par des Tunisiens, arrivés en Europe via Lampedusa, part en fumée. L'incendie est criminel. Bilan : deux morts et cinq blessés. Très vite, les enquêteurs ont un suspect : Abdelbast Eddomairi, un Marocain de 38 ans, sans antécédents judicaires, désigné par un témoin. Excédé par le tapage produit par les habitants du squat ce soir-là, l'homme aurait décidé d'en "finir". L'incendiaire présumé est jugé à partir de lundi devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes, à Nice,  pour incendie volontaire ayant entrainé la mort.

Cinq blessés qui sautent du 2e étage. Le 22 mars 2013, il est près d'une heure du matin quand les pompiers sont appelés sur un incendie dans le nord-est de Nice. Le feu parti d'une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée d'un immeuble ravage l'édifice, squatté par des migrants. Pris au piège, cinq d'entre eux sautent par la fenêtre du deuxième étage. Ils en sortent blessés, avec de multiples fractures et des ITT supérieures à huit jours, mais en vie. Deux autres sont moins chanceux et périssent dans les flammes. Leurs corps sont retrouvés par les policiers à l'intérieur de l'immeuble, asphyxié pour l'un, brûlé pour l'autre.

"Il fallait en finir avec eux". Les policiers ont immédiatement un témoin. C'est une femme, visiblement très choquée, qui vit dans la résidence située en face de l'immeuble incendié. Elle n'a pas vu le départ de feu mais assure savoir qui en est l'auteur. C'est un voisin : un certain Abdelbast Eddomairi. Depuis la fenêtre de sa chambre, la jeune femme explique avoir vu cet homme sortir de l'immeuble alors que les premières flammes s'en échappent.

Il est minuit passé et l'homme est vêtu d'un bas de survêtement noir à bandes blanches et d'un blouson noir à capuche en fourrure. Elle raconte lui avoir alors crié : "mais t'es fou, qu'est-ce que tu as fait, t'as mis le feu". Réponse de l'individu, menaçant, selon ses déclarations : "tu ne sais pas qui je suis, tu te tais, fais comme si tu n'avais rien vu", puis d'ajouter : "il fallait en finir avec eux".  Le témoin appelle les pompiers, il est 0h48. Quelques minutes plus tard, elle assure revoir le même homme dans la rue, mais cette fois vêtu d'un pyjama.

La version de l'incendiaire présumé. Abdelbast Eddomairi est interpellé le jour-même. En garde à vue, l'homme nie catégoriquement et donne une toute autre version des faits. Ce soir-là, selon ses dires, l'homme est réveillé vers minuit par le tapage qui provient du squat. Il raconte avoir appelé la police avant de descendre de chez lui, en pyjama et affublé d'une veste marron, pour s'approcher de l'immeuble des migrants. Il aurait ensuite poussé la porte du rez-de-chaussée et remarqué l'incendie en cours. L'homme décide de rebrousser chemin et est interpellé par la voisine qui l'accuse. Abdelbast Eddomairi explique être remonté chez lui où il aurait appelé les secours avant de réveiller sa compagne et ses enfants, avant de descendre une seconde fois dans la rue.

Complainte contre le tapage et bassines d'excréments. L'enquête a permis de démontrer que les Tunisiens qui logeaient au deuxième étage de l'immeuble incendié faisait en effet ce soir-là beaucoup de bruit, buvant de la bière et riant à gorge déployée. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois et Abdelbast Eddomairi avait déjà appelé la police à plusieurs reprises par le passé pour se plaindre de ces nuisances. Selon certains témoignages, l'homme serait allé jusqu’à jeter des bassines d'excréments sur l'immeuble.

Trois coups de fil au 17 et des allumettes. L'exploitation de son téléphone portable a permis de confirmer le premier appel du suspect à police secours.  Un coup de fil passé à 00h30 dans lequel il se plaint des nuisances sonores des squatteurs et rappelle que ce n'est pas la première fois. Puis  20 minutes plus tard, à deux reprises, l'homme signale l'incendie et le fait que l'immeuble est habité.

Lors des perquisitions menées à son domicile, les policiers retrouvent le bas de survêtement à bandes blanches et la veste à capuche en fourrure décrits par la jeune femme qui l'accuse. Une boîte d'allumette et des briquets sont également prélevés chez cet homme qui ne fumait pas. Abdelbast Eddomairi l'explique par un problème de chauffage nécessitant un allumage manuel.

Abdelbast Eddomairi, détenu à la maison d'arrêt de Nice depuis mars 2013, risque la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu vendredi. 

 

 Héberger les survivants : le silence de Christian Estrosi

Les cinq survivants de l'incendie ont depuis pansé leurs blessures, même si le traumatisme reste. Ils ont également poursuivis leur route, les menant pour la plupart vers l'Allemagne.

Le 16 septembre dernier, à l'approche du procès, les avocats de ces migrants tunisiens, Me Samia et Mohamed Maktouf, ont saisi le maire de Nice, Christian Estrosi, d'une demande d'hébergement d'urgence.

Les deux conseils ont justifié cette demande en mettant en avant la "grande détresse psychologique" découlant de ce drame ainsi que "la situation financière et administrative précaire" de ces cinq hommes.  Une missive qui est restée lettre morte, la municipalité ayant pourtant accusée réception de ce courrier.

C'est grâce à la solidarité de la communauté tunisienne qu'ils bénéficient d'hébergements d'appoints pour les premiers jours du procès.