Ces détenus qui se filment en "direct" sur Periscope

Deux détenus se filment dans leur cellule de Luynes sur Periscope.
Deux détenus se filment dans leur cellule de Luynes sur Periscope. © Capture Periscope
  • Copié
avec Pierre de Cossette , modifié à
Un détenu s’est filmé dans sa cellule de la prison de Béziers, diffusant les images en direct sur Internet, via l'application Periscope. Un cas loin d’être isolé.

 

[UPDATE 24 mars] Le détenu a été condamné mercredi à six mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Béziers. 

 

Avec la présence illicite de portables en prison, les détenus peuvent aussi bien entrer en contact avec leurs proches, qu’avec d’illustres inconnus. Après avoir téléchargé l’application Periscope sur son téléphone, un détenu s'est filmé, dans la nuit de samedi à dimanche, depuis sa cellule du centre pénitentiaire de Béziers, diffusant les images en direct sur Internet. Le détenu de 22 ans, qui purge une peine de quatre ans de prison pour vol aggravé, a été placé en garde à vue lundi. Il était entendu dans l'après-midi par les policiers du commissariat de Béziers et devrait être présenté mardi au parquet qui a ouvert une enquête. Mais l’affaire de Béziers est loin d’être un cas isolé. Plusieurs vidéos du même acabit ont déjà été tournées dans d’autres prisons de France.

Une application qui permet à tout un chacun de faire un live. L’application Periscope, prisée des adolescents, a connu un coup de projecteur à la suite de l’affaire Serge Aurier, ce joueur du PSG qui a insulté son entraîneur, Laurent Blanc, lors d’un direct vidéo diffusé publiquement sur Internet. Cette application, rachetée par Twitter, compte plus de dix millions d’utilisateurs à travers le monde.

Elle offre la possibilité à tous ses inscrits de diffuser, en direct, et sans aucun contrôle, des séquences vidéos tournées avec un smartphone. De l’autre côté, les internautes qui ont téléchargé l’application peuvent observer et commenter, en direct toujours, la vidéo de l’internaute impudique. Lorsque le live est terminé, la vidéo n’est accessible en ligne que quelques heures, avant de disparaître, sauf si un internaute malintentionné en a fait une copie pendant le direct, comme c’était le cas pour Serge Aurier. La plateforme regorge de vidéos d’adolescents en classe, ou d’adultes qui s’ennuient chez eux. Et, à présent, de détenus qui proposent une visite de leur cellule.

Il fait un live, en pleine nuit, en direct de sa prison. Le live de "Luciano" a été réalisé dans la nuit de samedi à dimanche. Le jeune homme se filme face caméra, avec derrière lui, le bruit de la musique et la lumière d'une télé allumée. Luciano tourne à travers les barreaux ce qu'il dit être les cours de promenade et les autres bâtiments. Il raconte sa vie aux internautes qui l'interrogent et rapporte notamment que son compagnon de cellule dort et ronfle au même moment.

Le jeune homme se vante surtout d'avoir tout ce qu'il faut pour passer le temps. "On a une chaîne hi-fi, du Coca… J’ai tout ce que tu peux avoir. Hier, j’avais même de l’alcool, c’est pour ça que j’ai des petits yeux. On a du shit", se vante-t-il. Et d’expliquer : "ce n’est pas les surveillants, on a des colis. Pendant qu’on est en promenade, on se fait jeter des petites balles de tennis remplies de ce qu’on veut. La prison, c’est un petit club Med’". La vidéo dure plusieurs dizaines de minutes. Luciano, qui se dit condamné à quatre ans de prison, roule même ce qui ressemble à un joint. Il s’enorgueillit également d’avoir réussi à faire entrer un cinquième téléphone en prison en huit mois. Les autres lui ont été confisqués par les surveillants.

Des précédents. La vidéo tournée par Luciano n'a pas le monopole du live Periscope en prison. Des films sont régulièrement tournés en direct de la prison des Baumettes. Le 24 janvier dernier, une vidéo a également été réalisée dans le centre pénitentiaire de Luynes, près d’Aix-en-Provence. Sous le pseudonyme de "Driss", un jeune détenu discute avec les internautes et répond à leurs questions. Pendant qu’il fume une chicha devant un match de football, il s’épanche sur sa vie en prison, sous les yeux interloqués des internautes, circonspects face à ce train de vie bien loin de l’indigence qu’ils imaginaient.

"C’est un vrai supermarché". La situation semble irrémédiable aux yeux des surveillants pénitentiaires, qui décrivent un système bien orchestré, faisant de la prison une vraie passoire. "Quand les colis tombent en cours de promenade, les détenus les ramassent le plus rapidement possible. Les colis sont alors dispatchés au niveau des pieds de bâtiment des cellules, parce qu’à l’aide de draps, les détenus se confectionnent des yoyos, et ils arrivent à tout récupérer. On a beau fouiller les détenus à l’issue de la promenade, ils n’ont plus rien sur eux, tout est déjà remonté dans les cellules", déplore Fabrice Caujolle du syndicat UFAP-UNSA, interrogé par Europe 1.

Portable, stupéfiants, nourritures… les détenus ne manqueraient de rien grâce à ce système de parachutage. "Les détenus le disent eux-mêmes : c’est plus facile de trouver des produits prohibés, comme des stupéfiants, à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est un vrai supermarché de la drogue. C’est le Club Med’, ils ont raison. Surtout Béziers, c’est un établissement neuf, ils ont la douche en cellule, ils ont tout ce qu’ils veulent, sauf la liberté", détaille le syndicaliste.

Procédures disciplinaires et judiciaires. Le ministère de la Justice assure que l’administration pénitentiaire se montre particulièrement intransigeante avec les détenus en possession d’un portable. Des procédures disciplinaires et judiciaires sont notamment prévues. La Chancellerie ajoute que des fouilles sont entreprises régulièrement. La dernière réalisée à Béziers mercredi dernier aurait permis de retrouver sept téléphones portables. Plus récemment, seize personnes ont été interpellées lundi matin par les gendarmes, pour avoir fourni ou s’être procuré des téléphones et de la drogue dans le centre pénitentiaire de Saint-Mihiel, dans la Meuse.