Le coup de force de l'Etat qui inquiète Renault et Nissan

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avec AFP , modifié à
PASSAGE EN FORCE - L'Etat est discrètement monté au capital de la marque pour faire voter une mesure qui renforce son pouvoir dans le groupe.

Epilogue d'un bras de fer de plusieurs semaines : le gouvernement a forcé jeudi Renault à adopter, en Assemblée générale, le dispositif dit du "vote double", qui renforce le pouvoir des vieux actionnaires, et donc de l'Etat. Et ce contre la volonté de la direction de la marque au losange et au risque de fâcher Nissan, l'allié de constructeur français. Décryptage.

Qu'est-ce que le "vote double" ? C'est une mesure assez méconnue de la loi Florange, en vigueur depuis mars dernier : le vote double. Concrètement, cela permet à un actionnaire présent depuis plus de deux ans dans le capital d'une entreprise d'avoir plus de pouvoir : lors des assemblées générales, les votes de ces "vieux actionnaires" comptent double.

Pour le gouvernement, cette loi permet de protéger les entreprises de la spéculation, en rendant plus stable le capital. Le vote double incite en effet les investisseurs à s'engager sur le long terme dans l'entreprise, plutôt que de revendre ses actions au plus offrant dès que le cours remonte.

Mais le gouvernement prête aussi une autre ambition à cette mesure. Grâce à elle, l'Etat peut se délester de certaines de ses propres actions pour renflouer ses comptes, tout en gardant son pouvoir au sein des entreprises où il est présent de longue date (dont Renault). Si ces sociétés adoptent le vote double, l'Etat pourra en effet potentiellement vendre la moitié de ses actions tout en gardant le même pouvoir. Ce qui lui permettrait d'empocher jusqu'à 16 milliards d'euros.

Pourquoi cela créé des tensions chez Renault ? La direction de la marque au losange s'y est opposée, au motif que cela pourrait remettre en cause l'alliance avec Nissan. En effet, Nissan détient 15% du capital de Renault, mais n'a pas de droit de vote. Et les Japonais voient d'un très mauvais œil le fait que l'Etat français puisse obtenir un droit de vote double.

>> Voir sur ce sujet le décryptage de notre éditorialiste Nicolas Barré :

Loi anti-spéculation, Renault s'oppose...par Europe1fr

Pour avoir plus de chance d'obtenir une majorité lors de l'Assemblée de jeudi, l'Etat a décidé de tenter un coup de force : le 1er avril dernier, il a décidé de monter son capital dans le groupe de 15 à 19,74%. Ce qui n'a fait que renforcer les tensions. "L'Etat n'a prévenu personne. Cela a rendu furieux la direction de Renault et surtout Nissan, qui se sent traité comme un partenaire de second rang", décrypte l'éditorialiste Nicolas Barré. Et de conclure : "cela va laisser des traces. L'alliance est fragilisée. Les Japonais se posent des questions et veulent un rééquilibrage en leur faveur. Ils ont confiance en Carlos Ghosn (le patron de Renault), mais beaucoup moins en l'Etat français. Se pose désormais la question de la présence de ce dernier". 

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Quels ont finalement été les votes jeudi ? L'Etat a finalement eu gain de cause jeudi. Les détenteurs de titres, réunis au Carrousel du Louvre à Paris, ont certes voté à 60,53% en faveur de la résolution de la direction contre le "vote double". Mais ce niveau n'était pas suffisant puisqu'une majorité qualifiée des deux tiers était requise pour que cette résolution de rejet soit adoptée. Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, qui rejetait lui aussi le dispositif des votes doubles, n'a pas fait de commentaire, se contentant de prendre acte du résultat.

"Nissan a fait savoir que cela perturberait l'équilibre de l'alliance; Daimler, qui participe aussi à l'alliance, a exprimé la même préoccupation; d'autres actionnaires ont également fait connaître leur opinion défavorable à l'abandon du principe 'une action-une voix'", a par ailleurs relevé Renault jeudi dans un communiqué.

Depuis Rome où il était en déplacement, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a pour sa part salué ce résultat."Je me félicite que l'assemblée générale ait rejeté à 40% cette résolution qui visait à déroger à une loi selon une philosophie qu'on ne partageait pas, c'est une bonne nouvelle cohérente avec notre volonté de défendre un capitalisme de long terme qui favorise les actionnaires qui sont durablement installés et qui accompagnent les entreprises dans les transitions", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. Le gouvernement a promis qu'il revendrait les actions Renault nouvellement acquises dès l'assemblée générale passée. Mais même avec 15% des parts, l'Etat, vieil actionnaire, voit son influence renforcée après le vote de ce vote double.