Florange : où est passé l'argent du projet Ulcos ?

Les deux hauts fourneaux de Florange ont fermé fin 2012.
Les deux hauts fourneaux de Florange ont fermé fin 2012. © MaxPPP
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AVIS DE RECHERCHE - François Hollande se rend lundi sur le site mosellan d'ArcelorMittal, pour la deuxième fois de son mandat.

En 2012, pendant la campagne, il avait promis de s'y rendre chaque année. Et pour l'heure, le calendrier est tenu. François Hollande se rendra en effet lundi à l'usine ArcelorMittal de Florange, en Moselle, pour la troisième fois en trois ans. L'usine de Florange, c'est ce site dont les hauts fourneaux ont été mis à l'arrêt fin 2012, malgré les promesses de campagne du candidat socialiste. Aujourd'hui, les 629 ex-employés des ces hauts fourneaux ont été recasés, ou sont partis à la retraite. Et le reste de l'usine est, lui,  redevenu rentable, grâce aux investissements du sidérurgiste indien.

Mais la fermeture des hauts fourneaux, anciens bijoux industriels, avait été perçue comme un énorme gâchis par les salariés. C'est pourquoi ArcelorMittal avait signé un accord, fin 2012, avec l'Etat, pour les maintenir en capacité de fonctionnement. Le tout dans l'attente du projet Ulcos (Ultra-Low Carbon Dioxide Steelmaking, pour "processus sidérurgiques à très basses émissions de CO2"). A l'issue d'une période de six ans, selon cet accord, au moins l'un des deux hauts-fourneaux de Florange devait en effet être transformé en "démonstrateur industriel", c'est-à-dire en vitrine d'une technologie propre.

>> Deux ans plus tard, si le projet Ulcos a été abandonné, d'autres ont vu le jour. Comment ont été répartis les fonds? On a remonté le fil.

Le discours prometteur de Jean-Marc Ayrault. Rappelez-vous, c'était le 30 novembre 2012. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonçait un accord passé avec ArcelorMittal. "Le gouvernement a obtenu l'engagement du groupe Mittal de maintenir les hauts fourneaux dans un état qui permette, le moment venu, la réalisation d'un grand projet industriel d'avenir. C'est le projet Ulcos", promettait le chef du gouvernement d'alors. Et d'insister : "il s'agit de produire de l'acier de façon économe en énergie, et plus respectueuse de l'environnement par la captation de CO2. L'Etat a déjà réservé 150 millions au titre d'investissement d'avenir".

Le projet Ulcos, c'était quoi déjà ? Dans le détail, Ulcos désignait un consortium de 48 entreprises, issues de 15 pays européens. Leur but ? Réduire de manière drastique les émissions de dioxyde de carbone liées à la production d’acier. Et leur site test devait être celui des hauts fourneaux de Florange. Ulcos devait permettre de réduire d'au moins 50% les émissions de gaz carbonique lors de la fabrication de l'acier. Et Florange devait en être la vitrine. L'Etat français devait verser 150 millions d'euros pour ce projet. Ulcos était également favori pour décrocher une aide de l'Union européenne via l'appel d'offre NER 300, un fonds doté d'1,5 milliard d'euros. Enfin, les 48 entreprises du consortium s'étaient engagées à investir un total de 75 millions d'euros sur six ans.

Un projet enterré… Mais Ulcos n'a jamais vu le jour. Moins de six mois après la promesse de Jean-Marc Ayrault, le projet fut enterré, et le consortium s'est dissout. "Techniquement et économiquement, Ulcos n'est pas viable aujourd'hui", affirmait le 22 avril 2013 Henri-Pierre Orsoni, directeur général Atlantique et Lorraine d'ArcelorMittal, cité par Le Monde. "Stocker du CO2 revient entre 50 et 90 euros la tonne, alors qu'aujourd'hui elle s'échange à 5 euros sur les marchés, ce n'est pas rentable", reconnaissait-on également au cabinet de Geneviève Fioraso, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Florange, vue du site, 930*620

… remplacé par le (petit) LIS. Pour autant, ArcelorMittal n'a pas enterré ses ambitions écologiques. Il les a simplement revues à la baisse. Le sidérurgiste a remplacé Ulcos par LIS, pour Low Impact Steelmaking. Le groupe a investi, à lui tout seul, 13 millions d'euros dans le projet. L'Etat (à hauteur de 15 millions), Air liquide et ICAR (5 millions) le cofinancent également. De quoi parle-t-on ? D'un programme de recherche coordonné par ArcelorMittal et mené à 60% en Lorraine, en partenariat avec plusieurs centres de recherche français. Le but, à long terme, est là aussi de donner naissance à une nouvelle génération de hauts-fourneaux économes en énergie, et faiblement producteurs de CO 2. L'ambition est donc là même que pour Ulcos, mais avec moins de fonds.

Et Florange, dans tout ça ? Le groupe ne prévoit pas de développements industriels issus du projet LIS avant 2020. Or, en 2020, l'accord avec l'Etat sur Florange aura pris fin depuis déjà un an. Ce qui signifie que rien ne pousse ArcelorMittal à maintenir les hauts fourneaux de Florange en état de fonctionner pour LIS. "Les pilotes expérimentaux de LIS pourraient être testés sur les sites d’ArcelorMittal à Dunkerque, faute de haut fourneau en activité en Lorraine" en 2020, écrit ainsi Usine nouvelle, le magasine spécialisé dans l'industrie. En clair, LIS ne devrait pas profiter à Florange, mais à Dunkerque.

Où sont partis le reste des fonds ? Si on résume, le consortium Ulcos s'est dissout, avec la promesse des 75 millions d'euros promis par les 48 entreprises partenaires. ArcelorMittal a investi 13 millions dans LIS. Mais que sont devenus les fonds publics ? Les 150 millions promis par l'Etat français, d'une part, "ont été répartis dans plusieurs petits projets, principalement en Lorraine", détaille à Europe1, Directeur de programme Énergie au Commissariat général à l'investissement.

Parmi ces petits projets, Ivan Faucheux cite "Metafensch", une plateforme de métallurgie innovante, qui a reçu environ 30 millions d'euros de l'Etat, le projet LIS, détaillé plus haut, mais aussi le "plan de recherche technologique en Lorraine", qui rassemble des compétences du Commissariat à l'énergie atomique pour développer toutes sortes de technologie dans le domaine de l'énergie, ainsi que "toute une autre collection de petits projets, dont je pourrais vous faire un inventaire à la Prévert". Quant aux fonds européens, ils ont également été répartis dans des projets mêlant écologie, innovation et industrie, dont on peut voir la liste ici pour 2014 et ici pour 2013.

>> Une projection thermique sur la plateforme Metafensch :

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© irt-m2

Les hauts fourneaux de Florange, eux, seront maintenus en état de fonctionner jusqu'à 2019. ArcelorMittal doit en effet, conformément à l'accord passé avec l'Etat, faire un point après cette date. "Mais bien malin qui peut dire aujourd'hui s'ils redémarreront. À terme, le marché de l'acier n'est pas suffisant. Quant à savoir s'ils seront utilisés pour une nouvelle technologie, la question n'est pas encore tranchée. Mais ils risquent d'être trop petits au regard de ce qui est en recherche aujourd'hui", explique Ivan Faucheux, qui conclut : "cela ne veut pas dire qu'ils ne redémarreront pas".

>>  De nombreux engagements tout de même tenus. Outre la question des hauts fourneaux, environ 80% des investissements promis par ArcelorMittal pour moderniser le reste de Florange sont en effet déjà "sur les rails". Sur un total de 180 millions d’euros prévus sur 5 ans, 146 millions d’euros d’investissements ont été autorisés par le groupe. Près de la moitié des montants concerne des installations pour produire Usibor, un acier haut de gamme destiné au marché automobile, dont la production a doublé en deux ans pour atteindre 620.000 tonnes. Aujourd'hui, le site emploie encore 2.200 salariés. Les 629 ex-salariés des hauts-fourneaux ont donc été recasés ou ont pris leur retraite.