Des salariés espionnés par des comédiens : la CGT porte plainte

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Noémi Marois avec AFP
JUSTICE - Orpea-Clinea avait embauché des comédiens pour espionner les salariés de ses maisons de retraite. La CGT a saisi la justice.

L’affaire avait été dévoilée en 2012 par le magazine L’Expansion. En 2010, l’exploitant de maisons de retraite et cliniques privées Orpea-Clinea avait embauché des "acteurs de métier" dans le cadre d’ "un système organisé de surveillance", affirme l’avocat de la CGT Sofiane Hakiki. La CGT a donc saisi la justice pour dénoncer "la mise en place d'un système visant à infiltrer le syndicat". Orpea-Clinea, numéro 2 du secteur en Europe, n'a pas réagi.

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De faux brancardiers. Les comédiens avaient été recrutés comme brancardier ou agent d'entretien et envoyés en "observation" sur les sites de L'Haÿ-les-Roses, Andilly et Lyon, selon les pièces qui étayent la plainte contre X déposée mardi au parquet de Paris. Leur premier objectif était de se fondre dans la masse, puis de "copiner avec les collègues". Enfin, il leur fallait "prendre la défense de leurs intérêts jusqu'à se faire élire aux élections professionnelles", détaille l'avocat de la CGT. 

Le groupe Orpea-Clinea a passé, pour la mise en place de cette surveillance, un contrat en 2010 avec la société de renseignements privée GSG, spécialisée dans le "conseil en gestion de risque social". La même entreprise apparaît dans l'enquête sur des soupçons de surveillance illicite de salariés d'Ikea ouverte à Versailles depuis 2012.

16 rapports hebdomadaires. Facturé 12.500 euros par mois au groupe, chaque "implant" devait rendre compte de ses avancées sur le terrain. C'est ainsi que seize rapports hebdomadaires ont été adressés à la DRH d'Orpea-Clinea entre le 22 mars et le 4 septembre 2010.

Dans l'un d'eux, un des comédiens embauchés dit vouloir "favoriser la confiance de ces collègues" et apprend à la DRH qu'il va "les convier à déjeuner chez lui la semaine prochaine, sorte de pendaison de crémaillère".

"Sous couvert de gestion préventive du risque social, le but était de prendre le pouls social, repérer les hostilités à la direction et ensuite approcher le syndicat qui semblait le plus dangereux", rapporte Maître Hakiki. "Ces dérives illustrent la volonté de l'employeur de vouloir tout maîtriser, par tous les moyens", a-t-il ajouté. 

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Les salariés espionnés dans leurs faits et gestes ? La plainte de la CGT révèle que les comédiens "relevaient de manière quotidienne les faits et gestes des salariés en prenant un soin particulier à noter les activités syndicales". Par exemple, dans un des rapports, le "sujet JCO" est décrit comme consommateur de drogues, "marijuana et résine de cannabis essentiellement". Selon la plainte, la convention avec GSG ainsi que les rapports "caractérisent les délits d'entrave au droit syndical, d'atteinte à la vie privée et de collecte de données à caractère personnel".

Une  "observation" expérimentale pour Orpea. Fin 2012, Orpea-Clinea s'était fendu d'un courrier confidentiel à la CGT pour s'expliquer sur ces pratiques : "une étude sur les risques psycho-sociaux" et le climat social dans le cadre d'accords sur les conditions de travail, selon elle. Dans le même courrier, Orpea-Clinea détaille les méthodes de la société de renseignements GSG : "l'observation in situ", en "immersion totale". Le groupe assure aussi avoir "exigé des garanties déontologiques" car il était conscient du risque de "dérives". Orpea-Clinea avance que "GSG a mis en place une charte éthique encadrant strictement ses interventions".

Espionnage sur internet aussi. L'espionnage au sein des entreprises des salariés n'est pas un fait nouveau. Disneyland Paris a été condamné à 150.000 euros d'amende pour avoir espionné des candidats à l'embauche en puisant dans les fichiers de police. L'enseigne de distribution, Lidl, a, pour sa part, été condamnée en Allemagne à une amende de 1,5 million d'euros pour avoir fait surveiller des employés par des détectives.

Mais demander à des comédiens de jouer aux espions est une méthode "assez inédite", selon Jean-François Amadieu, professeur à l'université de Paris 1, spécialiste des relations sociales. "De nos jours, les informations sont plutôt glanées sur les réseaux sociaux", explique-t-il. Il avance que les employeurs "adorent farfouiller sur internet".

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