Crise agricole : que peut faire l’Europe ?

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Bruxelles "a fait trop peu et trop tard", a jugé lundi Manuel Valls. Mais quelles sont les marges de manœuvre de l’UE ?

Agriculteurs, industriels et distributeurs avaient de nouveau rendez-vous lundi à Matignon, une réunion qui n’a pas permis de grandes avancées. Manuel Valls a, toutefois, adressé une pique à destination des institutions européennes, accusées de ne pas en avoir fait assez. "Nous avons pris des mesures d'urgence depuis le début de la crise mais la crise est aussi européenne. La Commission doit activer les pouvoirs dont elle dispose en cas de crise. Jusqu'à présent, elle a fait trop peu et trop tard", a taclé Manuel Valls. Mais quels sont les pouvoirs de l’Union européenne face à la crise agricole ?

Premier levier : stocker les surplus. Manuel Valls estime que l’Union européenne pourrait acheter des produits agricoles sur les marchés et les stocker, cette réduction de l’offre devant faire remonter les cours. Une fois la crise passée, l’Europe pourrait alors écouler progressivement ses stocks.

Cette technique qui consiste à mettre de côté une partie de la production n’est pas nouvelle : elle fait partie des principaux outils de la Politique agricole commune (Pac). Au milieu des années 1980, l’UE avait ainsi acheté et stocké plus d’un million de tonnes de beurre en attendant la fin de la crise du lait.

Sauf que non seulement le recours au stockage coûte cher, mais il est risqué juridiquement, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) y voyant une aide publique déguisée. Résultat, cette technique ne fait plus l’unanimité et a été abandonnée : l’UE verse désormais des aides financières aux Etats, qui les reversent ensuite aux agriculteurs pour qu’ils stockent eux-mêmes les produits. La France réclame une augmentation de ces aides mais doit faire face à l’opposition totale des libéraux européens.

Deuxième levier : limiter la production avec des quotas. Le stockage des surplus a permis de gérer les crises des années 1980 mais il a généré un effet pervers : assurés d’écouler leurs produits, même lorsque les marchés n’en voulaient pas, les agriculteurs n’ont pas réduit leur production. Et les cours des produits agricoles concernés ont continué de chuter.

La Pac a alors pris le problème à la racine et instauré des quotas pour limiter la production. Une stratégie qui a permis de stabiliser les prix européens pendant des années, avant d’être progressivement abandonnée : les agriculteurs y voyaient une entrave à leur liberté et le secteur agroalimentaire y voyait un frein à leur développement. Résultat, tous les quotas européens ont disparu depuis peu, à l’exception de la filière sucre qui a obtenu un délai supplémentaire après avoir suivi les mésaventures de la filière laitière.

Un retour aux quotas paraît donc difficile à court terme, d’autant que l’Europe est en train de détricoter le dernier outil qui y ressemble, les droits de plantation dans le secteur viticole. Un retour aux quotas sera d’autant plus improbable que de grands groupes agroalimentaires se sont lancés dans une course au gigantisme et espèrent ainsi conquérir des marchés à l’export. Pour contourner cette opposition, la France réclame la création de mécanismes permettant de donner des aides aux producteurs qui ont volontairement réduit leur production en période de baisse des prix.

Troisième levier : relancer les exportations. Si les éleveurs porcins vont mal, c’est notamment parce que l’embargo décrété par la Russie les a privés de l’un de leurs principaux marché à l’export. Plusieurs Etats militent donc pour que l’Europe se rapproche de la Russie et la convainque de lever son embargo, au moins sur certains produits. Sauf que les Européens ne sont pas d’accord entre eux, sans parler de l’incohérence des Etats ayant adopté une ligne dure vis-à-vis de Moscou tout en espérant une levée de l’embargo.

A défaut de convaincre la Russie, l’Europe peut aussi chercher de nouveaux débouchés. C’est pour cela que la France espère la création d'un outil de crédit européen à l'exportation et des outils financiers de la Banque européenne d'investissement (BEI). Ce dossier a des chances d’aboutir, les principales puissances agricoles de l’UE n’étant pas opposées à cette aide à l’exportation.

Quatrième levier : lutter contre le dumping social. Une partie de la crise agricole est presque 100% européenne : c’est notamment le cas de la filière porc, où les Français sont fragilisés par l’essor de la production en Allemagne ou en Espagne. Et les éleveurs français de souligner que si le porc allemand coûte moins cher, c’est grâce à une main d’œuvre moins bien payée et souvent étrangère.   

Les agriculteurs réclament donc un alignement de la législation et des cotisations sociales au niveau européen. Cette convergence supposerait que la France revoie son contrat social à la baisse ou que ses voisins s’alignent sur son modèle social. Tout sauf évident, même si c’est l’objectif à long terme de l’UE.

Cinquième levier : mieux informer grâce à l’étiquetage. C’est le dernier volet de la crise agricole dans lequel l’Europe peut avoir son mot à dire. Les éleveurs français réclament notamment que l’origine des viandes soit systématiquement indiquée sur les emballages, y compris pour les plats préparés. Une information grâce à laquelle les consommateurs pourraient se détourner de certains produits pour privilégier la production de leur pays.  

Le chantier de l’étiquetage est probablement celui dans lequel l’Europe a le plus de chance de faire bouger les lignes : l’opinion publique européenne réclame plus de traçabilité et de transparence et les Etats y sont favorables. Mais ce serait oublier le lobbying du secteur agroalimentaire, puissant en France, qui ne veut pas en entendre parler.