Cette fraude qui inquiète toute la filière nucléaire française

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avec AFP , modifié à
ALERTE - Une entreprise a fourni aux centrales et aux entreprises du secteur des pièces dont le certificat était falsifié.

Tous les acteurs de la filière nucléaire en France sont pris d’un doute depuis quelques mois : ont-ils installé dans les centrales hexagonales des pièces ne respectant pas les normes ? La question se pose depuis qu’une série de plaintes ont été déposées pour fraude : un fournisseur du secteur a en effet falsifié les certificats de plusieurs de ses produits. Et cette manipulation ne serait pas récente.

Une fraude révélée par un simple contrôle. Dans le secteur du nucléaire, la traçabilité est de rigueur : la plupart des pièces utilisées dans la filière nucléaire font l’objet d’un contrôle strict. Et elles sont accompagnées d’un certificat assurant qu’elles respectent les normes en vigueur.

Mais lors de la réception d’une commande, un employé d’Areva a voulu vérifier le certificat de l’une des pièces. Il a donc appelé la société chargée d’assurer le respect des normes, Bureau Veritas, qui lui a répondu qu’elle n’avait jamais édité ce certificat.  "Il a été mis en évidence que des certificats avaient été manifestement retouchés et falsifiés", a confirmé Bureau Veritas.

Un employé du fournisseur incriminé voulait "gagner du temps". L’entreprise ayant falsifié des certificats n’est pourtant pas nouvelle dans le secteur. En effet, celle-ci, une forge spécialisée dans le laminage circulaire et filiale du groupe Genoyer, fournit la filière nucléaire depuis ses débuts. Cette PME située à Boën-sur-Lignon dans la Loire a assuré que c'était un employé du service qualité qui avait manipulé "à la marge", sur son ordinateur, des certificats délivrés par des laboratoires d'analyse.

La non-conformité du matériau testé aux spécifications attendues a ainsi été occultée dans certains cas. Selon l'entreprise, qui emploie 85 personnes, ce salarié voulait "gagner du temps" en n'ayant pas à demander de dérogations aux clients. "Il s'agit d'une dérive inadmissible et le salarié a aussitôt été mis à pied puis licencié", a indiqué celle-ci. L’entreprise déclare avoir prévenu 17 clients entre novembre et janvier.

Quels risques pour les centrales nucléaires ? On ignore encore où se sont retrouvées les pièces dont le certificat avait été falsifié. Seule certitude, des équipements destinés au réacteur de recherche Jules Horowitz, construit actuellement par Areva pour le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, sont concernés.

"Selon les premières analyses, la non-conformité de certaines pièces ne semble pas de nature à obérer le fonctionnement des installations dans lesquelles les pièces sont intégrées", assure le fournisseur incriminé. Ce dernier a néanmoins lancé un double contrôle sur tous les documents et fait appel à un expert du nucléaire pour vérifier qu'il n'y a pas eu d'impact technique sur les installations.

Sans aller jusqu’à confirmer que les pièces concernées ne posent pas de problème, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a confirmé qu’elle n'a pas encore eu connaissance d'"un équipement en service" affecté par cette falsification. Mais "les falsifications ne sont pas toutes récentes", a-t-elle ajouté.

Des vérifications et des plaintes en cascade. Ce n’est pas parce qu’aucun accident ne s’est produit que le risque est proche de zéro. L'ASN a donc demandé aux exploitants et aux fabricants d'équipements destinés à des installations nucléaires "de regarder s'ils avaient des pièces concernées par ces falsifications et d'en évaluer l'impact", a déclaré Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN. "Les investigations sont en cours. On devrait avoir prochainement les résultats. On pourra à ce moment-là évaluer l'ampleur et les conséquences de ces falsifications", a-t-il ajouté.

En attendant, le parquet de Saint-Etienne a été saisi de l'enquête et plusieurs plaintes contre X ont été déposées début 2016 : par Bureau Veritas, mais aussi par Areva et le CEA.