Tonie Marshall : "L’industrie est réservée, organisée et occupée par les hommes"

© Lionel BONAVENTURE / AFP
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Aurélie Dupuy , modifié à
La première femme auréolée du César du meilleur réalisatrice pose sa caméra sur une femme dans sa lutte pour accéder au sommet d'une entreprise du Cac 40.
INTERVIEW

Elle est la première femme à avoir obtenu un César de meilleure réalisatrice pour Venus beauté (institut) en 2000, coiffant au poteau cette année-là La fille sur le pont de Patrice Leconte et Jeanne d’Arc de Luc Besson. Ce parcours de femme forte, Tonie Marshall l'a transposée dans son nouveau long-métrage, Numéro Une. Elle raconte comment, dans un monde d’hommes, une femme – incarnée par Emmanuelle Devos - se bat afin de prendre la tête d’une entreprise du Cac 40. La réalisatrice était l'invitée d'Il n'y a pas qu'une vie dans la vie juste avant la sortie en salles, le 11 octobre.

Une mère "très belle, autocentrée". Fille de William Marshall et Micheline Presle, Tonie Marshall suit le chemin tracé qui la mène à une carrière d'actrice. "Je pensais que ce serait plus simple mais je faisais un peu de montage, j’étais assistante, j’étais sur les plateaux. J’avais un rapport au cinéma qui était bien plus large", raconte la cinéaste, qui a dû aussi trouver sa place auprès d'une mère au statut de star. "Quand on est adolescente, qu’on a une mère très brillante, très belle et que soi-même on est au mieux en devenir et pas forcément promise à être aussi jolie, il faut trouver une espèce d’espace. Ma mère était comme souvent les acteurs, autocentrée."

Entendu sur europe1 :
Il y a quelque chose dans la société d’aujourd’hui, de la morale, de la religion, de l’identitaire, quelque chose de cet ordre-là remet toujours les femmes à leur place. Quelle est leur place ? Posez-vous la question.

C'est vers la réalisation qu'elle éclot vraiment, en s'emparant de la caméra dans les années 90. "Je suis d’une génération assez heureuse où les femmes de la génération d’avant avaient fait un énorme travail. Quand j’ai eu 20 ans -elle en a aujourd’hui 65- je me suis dit que tout était possible. Je ne me suis jamais demandée si j’avais le droit ou pas de faire quelque chose. J’avais l’impression que ça allait progresser à un rythme normal. Il y avait la contraception, il y a eu l’avortement, tout ça semblait en route et puis pas du tout. Ça s’est bloqué. Il y a quelque chose dans la société d’aujourd’hui, de la morale, de la religion, de l’identitaire, quelque chose de cet ordre-là remet toujours les femmes à leur place. Quelle est leur place ? Posez-vous la question", interroge-t-elle.

Admiration. Le film Numéro Une pourrait être sa réponse. Elle choisit de planter le décor dans le milieu de l’industrie "parce que je n’ai pas mon bac et que j’ai beaucoup d’admiration pour ces femmes qui font de très belles études, qui sont brillantes (...). Et je trouve que l’industrie est photogénique au cinéma." Pour mieux appréhender son sujet, elle a rencontré plusieurs de ces femmes de pouvoir, dont Anne Lauvergeon. "On cite aussi Isabelle Kocher. Ce sont les seules qui sont connues. Moi, j’en ai rencontré plein", tient-elle à rectifier. Pour mener à bien ces entretiens, elle est passée par l'entremise de la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué. "On ne prend pas rendez-vous avec elles sans intermédiaire", glisse-t-elle. 

"Un pré carré". De ces échanges, elle a tiré quelques enseignements de cette industrie "réservée, organisée et occupée par les hommes. Quand une femme arrive là-dedans, il y a deux attitudes, une misogynie assez frontale, une pratique masculine très agressive, qui ne laisse rentrer personne dans ce qu’ils considèrent comme une sorte de pré-carré." L'autre attitude est tout aussi misogyne mais plus bienveillante, selon la réalisatrice, ce qui rend la situation encore "plus complexe". Pour autant, tout ce qu’elle a entendu n’est pas dans le film. "Le cinéma a un effet loupe. Ça aurait rendu le propos un peu plus manichéen et je ne le voulais pas. Je voulais montrer à quel point c’est difficile."