Sortie de "L'Odyssée" : la part d'ombre du commandant Cousteau

Jacques-Yves Cousteau, 1972 crédit : AFP - 1280
Le commandant Cousteau sur la Calypso en Antarctique pour son film Le voyage au bout du monde © AFP
  • Copié
Marthe Ronteix , modifié à
Le commandant Cousteau est, pour beaucoup, cet aventurier sans peurs qui n'hésitait pas à plonger parmi les requins. Mais est-il seulement ce héros national ?

Il a fait rêver des générations de petits et grands avec ses images merveilleuses de fonds marins et d'un monde inconnu. L'ascension du commandant Jacques-Yves Cousteau est mise en scène dans le film L'Odyssée de Jérôme Salle qui sort mercredi. Mais contrairement à l'image de héros national qui lui colle à la peau, le biopic ne cache pas la part d'ombre de l'explorateur, pour qui la sauvegarde de la nature n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui. Europe 1 revient sur la face cachée de celui qui nous a rendu accessibles les fonds marins.

Un aventurier sans limites. Vingt ans après sa mort, pour beaucoup de Français, le commandant Cousteau et son bonnet rouge évoquent toujours un insatiable explorateur qui s'est perdu dans un monde inconnu jusqu'alors : l'Océan.Un pionnier dont le film Le monde du silence, réalisé avec Louis Malle, a même remporté la Palme d'Or en 1956 et l'Oscar du meilleur film en 1957. Mais à partir des années 90, cette belle image d'aventurier a été quelque peu ternie. "Il y a beaucoup de choses dans le film que je ne connaissais pas de Cousteau, notamment ses parts d'ombre, ses défauts. Moi, je connaissais ce qu'on m'en avait montré, l'idée de poésie dans ses documentaires", a reconnu Pierre Niney qui interprète un fils du commandant, Philippe, au micro d'Europe 1.

Un commandant qui "faisait chier les poissons" ? Au centre de toutes les polémiques, son fameux film à succès. La conception de l'écologie et de la protection de la nature a bien évolué et le regard porté par les nouvelles générations sur le film est plus choqué qu'émerveillé. Une journaliste résumait ce décalage dans les colonnes de Libération, en 1995 : "Les enfants de 1956 rêvaient, ceux de 1995 sont scandalisés." Ce que l'on retient du Monde du silence désormais, c'est la mise à mort d'un jeune cachalot, blessé par les hélices du bateau, achevé d'une balle dans la tête, le massacre d'un groupe de requins venus dévorer le cadavre du cachalot ou encore la destruction d'un banc de poissons à la dynamite. 

Dans son ouvrage Cousteau, une biographie, Bernard Violet raconte que l'équipe d'aventuriers manipulait les animaux pour obtenir de belles images. Plus que des documentaires scientifiques, il fallait faire de bon films qui rencontreraient le succès à travers le monde. Des méthodes discutables qui ont refait surface en 2015 avec une chronique du cinéaste et romancier Gérard Mordillat, dans l'émission de web radio Là-bas si j'y suis, qui décrit le film comme "naïvement dégueulasse" et assure que le commandant Cousteau "'faisait chier les poissons', assassinait des requins et faisait péter les récifs à la dynamite".

Financements controversés, "collabo" et manque d'éthique... Entre autres reproches adressés au commandant, le financement de ses expéditions par des industriels et des compagnie pétrolières, le fait d'avoir dénoncé puis innocenté les essais nucléaires français dans le Pacifique pour obtenir des financements, d'avoir prêté son image pour faire la publicité de barres de poissons congelés ou encore d'avoir été un "collabo" et un eugéniste (manipulation de la nature pour atteindre un idéal).

Sur ces deux derniers points, Yves Paccalet, qui a passé plus de 15 ans aux côtés de l'explorateur, s'explique dans L'Obs. C'est le frère de Jacques-Yves, Pierre-Antoine qui a été condamné à mort pour actes de collaboration à la libération. Quant à l'eugénisme, il affirme que cette "calomnie" vient d'une mauvaise interprétation que Luc Ferry aurait faite des propos de Cousteau. Il ne préconisait pas d'éliminer la moitié de la population pour soulager la Terre mais d'avoir une démographie régulée. 

Cousteau crédit : AFP

© AFP

Un engagement écologique sur le tard mis de côté. Malgré toutes ces accusations, dont certaines sont des thèmes du film L'Odyssée, nombreux sont ceux qui s'élèvent pour défendre la démarche du navigateur. Ce qui passe pour choquant pour les consciences éveillées à l'écologie ne l'était pas à l'époque. A ce moment-là, le commandant cherchait à découvrir plus qu'à protéger. Mais à partir des années 70, il a radicalement changé de discours. 

Cousteau "est passé à un rôle de défenseur des océans, il a pris son bâton de pèlerin pour éveiller les consciences à l’écologie", affirme Laurence Veyne de Greenpeace France interrogée par 20 minutes. "On ne peut pas, au nom des polémiques qu’il a pu susciter, nier le rôle énorme qu’il a eu en matière de sensibilisation à la protection des mers et des océans".

cousteau, Mitterrand, 1994 crédit : PATRICK KOVARIK / AFP

© PATRICK KOVARIK / AFP

Dans les années 90, il se range même aux côtés de Greenpeace pour défendre l'Antarctique de la surpêche et de l'exploitation minière. Il lance alors une pétition mondiale qui recueille un million de signatures. "On lui doit la sanctuarisation de ce continent", reconnaît Laurence Veyne. Des combats qui n'apparaissent pas dans le biopic de Jérôme Salle qui s'arrête en 1979 avec la mort du fils cadet de Cousteau, Philippe (interprété par Pierre Niney), dans un accident d'hydravion. 

Personnage éminent du monde marin, Jacques-Yves Cousteau était bien plus complexe et ambigu que ce que ses documentaires et déclarations publiques pouvaient le laisser entendre.