Comment Ridley Scott va-t-il faire pour "gommer" Kevin Spacey de son film ?

Dans "Tout l'argent du monde", Kevin Spacey jouait le milliardaire Jean Paul Getty.
Dans "Tout l'argent du monde", Kevin Spacey jouait le milliardaire Jean Paul Getty. © Capture YouTube
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Clémence Olivier , modifié à
Les scènes dans lesquelles apparaissent Kevin Spacey dans le prochain film de Ridley Scott vont être supprimées et tournées avec un autre acteur, ont annoncé mercredi des médias américains.

C'est une décision pour le moins surprenante. Le réalisateur et les producteurs du prochain film terminé de Ridley Scott "Tout l'argent du monde", qui raconte l'enlèvement en 1973 du petit fils du milliardaire Jean Paul Getty, ont décidé de retirer Kevin Spacey du générique. La cause : l'acteur américain deux fois oscarisé est mis en cause dans plusieurs affaires de harcèlement et d'agressions sexuelles.

Mercredi, plusieurs médias américains ont annoncé que les scènes dans lesquelles apparait Kevin Spacey allaient être retournées. Kevin Spacey sera remplacé dans le rôle secondaire de Jean Paul Getty par l'acteur canadien Christopher Plummer. Mais comment techniquement peut-on effacer un comédien à l'écran ? Et est-ce vraiment faisable dans les temps ? Car la société de production, appartenant au groupe Sony, a assuré qu'elle souhaitait maintenir la date de sortie américaine du film au 22 décembre, c'est à dire dans à peine un mois et demi. Deux spécialistes de la post-production nous expliquent comment ce rafistolage est possible.

Quelles options s'offrent à Ridley Scott ?

C'est la magie du cinéma. Gommer un personnage, en incruster un, changer de décor… Tout cela est possible grâce aux technologies numériques et c'est d'autant plus envisageable que Kevin Spacey n'avait au total passé que huit à dix  jours sur les plateaux de tournage pour le film de Ridley Scott. Ce qui est relativement peu, les tournages pour ce type de long métrage durant en moyenne une vingtaine de semaine.

  • Tourner avec un nouvel acteur, dans le décor initial

Pour faire au plus vite et au plus simple, l'idéal pour le réalisateur est de tourner à nouveau les scènes dans le décor initial. Mais ce n'est pas toujours évident.

Car plusieurs mois après le tournage d'un film, certains décors sont détruits. D'autres plans sont plus compliqués ou plus coûteux à tourner car ils ont été réalisés en décors naturels à l'étranger. On peut supposer que c'est le cas de l'une des séquences de Tout l'argent du monde, celle dans laquelle on voit Kevin Spacey dans un désert, si l'on en croit la bande annonce.

  • Tourner avec le nouvel acteur sur un fond vert

Pour contourner l'obstacle, explique Pascal Laurent, directeur de la société de post-production Fix Studio, une autre méthode existe. Il est possible de gommer numériquement Kevin Spacey, puis de faire tourner Christopher Plummer sur un fond vert, un fond d'incrustation, avant de réintégrer son image dans le décor déjà capté précédemment. "C'est faisable si l'acteur est seul sur le décor. Mais plus il y a d'interactions avec les autres acteurs plus cela se complique", précise le spécialiste. "Il sera par exemple plus facile de reconstituer un décor de bureau qu'une séquence avec une foule et de nombreux détails", ajoute Edouard Valton, directeur de production chez Mikros image, une entreprise spécialisée dans la création d'effets visuels numériques.

  • Projeter le visage de Plummer sur celui de Spacey

Mais pour obtenir un résultat parfait dans des situations encore plus complexes - lorsqu'il s'agit d'une cascade ou d'une scène d'action, quand le héros conduit une voiture par exemple -  le réalisateur peut faire appel à une autre technique. Elle consiste à projeter une image sur un plan déjà existant. Cela permet par exemple de remplacer le visage de Spacey par celui de Plummer," dans le cas où les corpulences des deux acteurs sont cohérentes", détaille Edouard Valton. "Cette technique a été utilisée notamment pour le film La Planète des singes. Les comédiens étaient équipés de capteurs et on a "projeté" sur eux des animations de singes en images de synthèses", précise le directeur de production de Mikros Image. C'était le cas également dans le dernier Star Wars, Rogue One, sorti en 2016. Le visage d'un acteur britannique mort il y a plus de vingt ans, présent dans la trilogie originelle, avait été enregistré puis apposé numériquement sur celui d'un comédien.

Dans le cas de Kevin Spacey, se pose toutefois une question juridique. A savoir, peut-on apposer le visage d'un autre acteur sur celui de Spacey tout en conservant son corps, sans l'accord de celui-ci ?

Est-ce faisable dans les temps ?

"Cela dépend du nombre de plans concernés mais ça semble possible car le film est déjà monté. Les plans à retourner ou à transformer sont donc bien identifiés", diagnostique Edouard Valton. "Mais il est sûr que pour être dans les temps, il est plus facile de retourner les scènes avec un nouvel acteur que de choisir une reconstruction numérique du visage qui peut prendre plusieurs semaines de préparation", ajoute-t-il.

Est-ce que cela ne risque pas de nuire à la qualité du film ?

Pour les deux spécialistes, Ridley Scott a les moyens de modifier le film sans que le spectateur n'y voit rien. "Aujourd'hui, on utilise très souvent des effets spéciaux sans que cela soit détectable, sauf s'il s'agit d'un dinosaure", souligne Pascal Laurent de Fix Studio.  

"Le problème se posera davantage en fonction de la performance du comédien, à savoir si son jeu est en adéquation avec tout le reste. Mais comme il ne s'agit pas du personnage principal, il est probable que cela ne soit pas perturbant", complète Edouard Valton.

Combien est-ce que ça coûte ?

Difficile d'estimer la somme que devra débourser le producteur, pour tourner ces séquences et les intégrer au film au dernier moment. Rien que pour les 8 jours de plateau avec Christopher Plummer, la production devra débourser 2,5 millions de dollars, précise l'AFP. Un budget qui s'ajoute à celui du film estimé à 40 millions de dollars. "Une doublure numérique peut coûter cher, car il faut créer un visage et l'animer pour lui donner toutes les expressions humaines. C'est un travail indépendant du nombre de plans", rappelle Edouard Valton. Utiliser un fond vert coûte en général cinq à dix fois moins cher.  Reste que quelles que soient les techniques choisies, le film ne coûtera peut être pas "tout l'argent du monde", mais il reviendra plus cher que prévu...