Pourquoi le cinéma français va profiter du Brexit

Le Prince Harry sur le tournage de Star Wars VIII dans les studios de Pinewood
Le Prince Harry sur le tournage de Star Wars VIII dans les studios de Pinewood © ADRIAN DENNIS / AFP
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Thomas Coispel
CINÉMATOGRAPHIQUE - L'industrie cinématographique mondiale pourrait être directement impactée par la sortie de la Grande-Bretagne de l'Europe.

Les studios londoniens de Pinewood, que les princes Harry et William ont visité comme de grands enfants à l'occasion du tournage de Star Wars VIII, pourraient ne pas voir la fin du tournage. Un scénario catastrophe qui commence avec le Brexit plébiscité vendredi par les citoyens britanniques. Le blockbuster de Disney, comme tant d'autres superproductions hollywoodiennes, n'est pas venue sur le vieux continent par nostalgie du "tea time" ni pour le professionnalisme des techniciens anglais ou pour la météo si propices aux scènes de pluie. Non, la motivation profonde des producteurs est toujours la même : l'argent. Or le Brexit tape directement au portefeuille des "majors" américaines.

Si les studios britanniques croulaient sous les commandes étrangères (Harry Potter, 007 Spectre, Rogue One : A Star Wars Story, Star Wars épisode VIII, Game of Thrones, Inception etc.), c'était en grande partie à cause de la politique fiscale avantageuse existante, permettant aux studios américains de gagner de l'argent en investissant au Royaume-Uni plutôt que sur leur territoire. Pour une livre investie, une production pouvait espérer regagner 25 "pence" avec les crédits d'impôt, voire beaucoup plus en fonction des montages financiers prenant en compte les aides européennes aux régions. Le dernier épisode de Games of Thronesfilmé en Irlande du Nord a ainsi bénéficié du fond "Creative Europe."

Lorsque les sommes se comptent en centaines de millions, l'économie est de taille. On comptait à la veille du référendum 10% environ de la production hollywoodienne "délocalisée" en Grande-Bretagne. Or, ces crédits d'impôts accordés par le gouvernement britannique à l'industrie cinématographique sur son territoire étaient en grande partie financés avec l'aide de l'Union européenne. Sorti de l'UE, on voit mal le gouvernement britannique alimenter seul cette perfusion. 

En 2012, on comptait 70.000 emplois dans le secteur de l'industrie cinématographique au Royaume-Uni, un regain de plus de 200% depuis 1996. Le gros de cet emploi était jusqu'à présent crée par les productions hollywoodiennes. Une fois ces investissements retirés, difficile de ne pas prédire aux studios britanniques le même funeste destin que Cinecittà en Italie...

Un effondrement à plusieurs étages. Au delà de l'emploi créé par les productions étrangères, le cinéma d'auteurs britanniques pourrait être aussi doublement handicapé par le Brexit. En plus de perdre l'opportunité de crédits d'impôts très avantageux, les films britanniques pourraient aussi faire une croix sur la circulation sans entrave dans le marché européen. A moins d'accords bilatéraux signés entre l'UE et la Grande-Bretagne stipulant le contraire, les films anglais, écossais et irlandais risquent de subir des coûts supplémentaires à l'exportation en Europe. On ne se fait aucun soucis pour que le prochain Star Wars parvienne jusqu'à nos écrans hexagonaux, mais on devrait a priori moins voir de films britanniques labellisés "Art et Essai", hors prix majeurs comme la Palme d'or à Cannes de I, Daniel Blake.

Les aides directes de l'UE au cinéma d'auteurs risquent aussi de disparaître, rajoutant un obstacle de plus à la production et diffusion de ce cinéma d'Outre-manche. Les chaînes françaises et le CNC financent déjà des productions étrangères d'auteurs renommés, dont Ken Loach pour le Royaume-Uni, via des producteurs français associés comme Why Not Productions. Sauf que de plus en plus de ces cinéastes étrangers viennent directement filmer en France avec des stars hexagonales. C'est le cas récemment de Paul Verheoven ou de Kyoshi Kurusowa. Après l'arrivée massive des retraités anglais dans le Sud de la France, verra-t-on bientôt débarquer également des cinéastes britanniques ?

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(La "Cité du cinéma" de Luc Besson, avant rénovation)

Une opportunité pour le cinéma français ? Sans connaître l'issue des futures négociations entre l'Europe et la Grande-Bretagne sur la production et la distribution des films, il est difficile de prédire avec exactitude les retombées pour l'industrie française. On peut toutefois rapprocher la diminution probable des crédits d'impôts britanniques avec leur augmentation sur notre sol, au bénéfice de plus en plus de productions internationales.

Besson en première ligne. En menaçant de tourner son film Valérian et la Cité des mille planètes en Hongrie, Luc Besson a réussi à faire plier le gouvernement. Jusqu'à présent réservés aux films tournés en langue française, les crédits d'impôts peuvent désormais bénéficier aux films tournés en France en langue étrangère s'ils constituent un investissement d'au moins un million d'euros.

Après cette modification de la loi, et bien avant le Brexit, le nombre de projets étrangers sur le territoire français a augmenté en flèche. Le CNC comptait, pour le premier trimestre, pas moins de 19 films étrangers tournés en France, dont Dunkirk de Christopher Nolan (Inception, trilogie Batman). Avec la "Cité du Cinéma", un studio et une école à Saint-Denis, Luc Besson pourrait bénéficier directement du Brexit. Moins de crédits d'impôts au Royaume-Uni, davantage ici en France. Le calcul semble favorable au réalisateur devenu producteur international.  Alors, à quand un épisode de Game of Thrones tourné en Île-de-France ?