Le Chinois Huawei espionne-t-il nos téléphones ?

Huawei
Le Chinois Huawei inspire la crainte des autorités occidentales. © WANG ZHAO / AFP
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François Geffrier et Grégoire Martinez, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
Opérateurs, États et citoyens se méfient de l'importance prise par le géant des technologies Huawei, à qui l'on reproche d'être un relais de l'influence et de l'ingérence chinoise.
ENQUÊTE

C'est un bras de fer digne d’un film d’espionnage, à mi-chemin entre l’économie, la diplomatie et la cybersécurité. L’entreprise chinoise Huawei, un mastodonte de la technologie, est pointée du doigt par plusieurs pays occidentaux qui lui reprochent sa proximité avec l'État chinois, en pleine guerre commerciale avec les États-Unis. 

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Le fameux test de SFR. La marque Huawei était totalement inconnue sous nos latitudes, il y a encore trois ou quatre ans. Aujourd'hui, l'entreprise est le troisième plus gros vendeur de smartphones dans le monde, derrière Samsung et Apple, et ne cesse de prendre de l'ampleur. En France, il y avait depuis des années une sorte de pacte secret entre l’État et les opérateurs (Orange, Bouygues, SFR et Free) pour ne pas utiliser Huawei dans leur équipements stratégiques. Sauf que cet automne, SFR a fait des tests sur le toit de son siège, à Paris, avec des équipements Huawei, à 100 mètres du ministère des Armées, le Pentagone français. Et ça a froissé tout le monde. Car un ministre nous l’a dit : "Huawei manque de transparence".

La crainte d'une "perte dérobée". Mais qu’est-ce que les autorités redoutent ? Il faut comprendre qu’un équipementier est tout puissant, sur un réseau télécom. "On peut craindre une coupure du réseau, en tout cas une non-disponibilité, temporaire, partielle, sur certaines zones du territoire. Un peu comme quelqu'un qui fait de la maintenance d’un système d’ascenseurs dans un immeuble, qui va décider si à un moment, il coupe les ascenseurs, ou il va les limiter à certains étages", explique Nicolas Arpagian, auteur du livre La Cybersécurité. "Et puis il peut y avoir comme une porte dérobée, qui permet au gestionnaire d’assurer la continuité de service, et c’est là où se pose la question de la confiance qu’on va avoir dans l’équipementier, dans sa capacité à n’utiliser ces portes dérobées qu’à des seuls fins de maintenance, et pas à des fins d’interception."

Un siège tentaculaire en Chine. Personne n’accuse nommément Huawei, mais tout le monde craint l’espionnage, et de laisser la main sur nos réseaux à une entreprise chinoise géante. Situé dans la ville de Shenzhen - 12 millions d'habitants - son siège abrite 170.000 salariés, répartis sur un site de 200 hectares. Il faut prendre un bus pour aller d’un bâtiment à l’autre. Les matériaux sont luxueux pour bien montrer le prestige de Huawei… C'est ici que l’entreprise met au point toutes ses technologies pour les smartphones. Mais pas seulement : Huawei se montre très fier d'afficher la capacité de ses logiciels de vidéosurveillance qui font clairement penser à Big Brother. Des ordinateurs analysent le comportement des passants et des voitures dans la rue en permanence. Ça permet de détecter les accidents mais aussi de traquer des fugitifs. On peut donc suivre les gens à la trace, ce qui ne serait pas du tout accepté en France.

" Il est important qu’on ne prenne pas de retard sur la conception des réseaux "

Pour l'instant, selon les experts de la cybersécurité et de la téléphonie que nous avons interrogés, ni Huawei ni la Chine ne s’intéresse à monsieur ou madame Tout-le-monde en France. Mais dans le même temps, de plus en plus de patrons français, d'avocats ou de politiques se méfient et achètent leur téléphone portable en fonction de la nationalité du fabricant.

Freiner les déploiements de technologies ? En tout cas, les opérateurs français veulent savoir vite ce que le gouvernement va décider en matière d'équipement. "On a un enjeu très fort, maintenant, d’apporter la 4G à tous les Français. C’est ce que nous demandent les élus, c’est ce que nous demandent nos clients. Personne ne comprendrait qu’on vienne freiner ces déploiements", avance Michel Combot, le directeur général de la fédération française des télécoms. "Et par ailleurs, la 5G arrive. La 5G est un enjeu de compétitivité de notre pays, de nos industries. Il est donc important qu’on ne prenne pas de retard sur la conception des réseaux."

Bugs sur la 5G. La 5G, un nouveau réseau mobile plus mobile et plus fiable, va arriver dans deux ans afin notamment de permettre la téléchirurgie et de faire rouler les voitures sans conducteur. D'autres entreprises préparent la 5G : Nokia et Ericsson. Mais les opérateurs français indiquent que ce n’est pas prêt avec de nombreux problèmes pas encore résolus malgré les nombreux tests, alors que Huawei a déjà des machines performantes et innovantes. Un problème d'un manque de concurrence se poserait également en cas de mise à l'écart d'un gros acteur comme Huawei. Et puis il y a, in fine, cette idée avancée par plusieurs sources au gouvernement et chez les opérateurs français, comme résignés : de toute façon, si la France ne se fait pas espionner par les Chinois, ce sera par les Américains.